Simon Aeschimann est un farceur. On le pressentait déjà, depuis vingt ans que ce fidèle du Loup accompagne de sa guitare réjouie les frasques de la compagnie. Mais jamais son éventail comique n’a autant explosé que dans ce cabaret Boris Vian, créé il y a deux ans par Eric Jeanmonod et repris ces jours au bord de l’eau.

Du mari pas sympa au punk à chien en passant par le demeuré magnifique d’«Arthur, où t’as mis le corps?», l’artiste aligne les faciès hilarants. Mais si Simon Aeschimann est un farceur, c’est aussi à cause de ses arrangements. Entre un «J'suis snob» funky, un «Je bois» sucré, type Tagada, et une «Complainte du progrès» latino, les habillages du musicien surprennent et séduisent. Présent en masse, le public apprécie.

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On n’est pas là pour se faire engueuler, dit le titre. Boris Vian, c’est sûr, n’était pas du genre complexé. Ingénieur, auteur, poète, traducteur, musicien, journaliste, interprète, directeur artistique, scénariste, acteur et même peintre, l’artiste multipliait les casquettes en mode be-bop, décontracté. Avec un bonheur relatif sur le plan pratique, puisque l’homme-orchestre, mort avant 40 ans, a connu la précarité… Au début et à la fin du spectacle, on le voit en images, l’œil aux aguets, le sourire en coin. A lui seul, il incarne un réveil, celui des année 50, et une envie de tout dézinguer.

Voix grave et crooner stylé

Il avait du nez. Beaucoup de ses 535 chansons sont restées. Les trois tubes évoqués plus haut, mais aussi la «Valse jaune», cette fantaisie anarchiste, censurée à sa sortie, ou le «Fais-moi mal Johnny», invitation à l’amour musclé qui, aujourd’hui, #MeToo oblige, prend un relief corsé. Ces titres, on les entend par Céline Frey, magnifique voix grave et voilée ou par le crooner stylé Ernie Odoom, et on les savoure.

Il n’y a pas que de la gaudriole dans le décor vintage, des microsillons en série, de Jeanmonod. Figurent aussi les subjuguants «Barcelone» ou «La Rue Watt», ou encore «Le Déserteur», chanté par le percussionniste Sylvain Fournier, qui met du Brésil dans sa guitare.

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Mais le Loup n’est jamais aussi bon que lorsqu’il chasse les idées noires. Dans leurs robes à pois, Céline Frey et la contrebassiste Jocelyne Rudasigwa électrisent l’audience sur «Ne vous mariez pas les filles» (tellement bien!), avant que toute la bande traverse en chœur «Le Blouse du dentiste» ou les «Huit Jours en Italie».

Esprit frappeur encore lorsque Philippe Raphoz, le barman, se transforme en tonton rebelle et sollicite l’assemblée pour ses bombes qui, dans un monde idéal, feraient tout péter. En vrai, pas de casse, mais on ressort de la soirée heureux et vivifiés. C’est déjà une petite révolution, non?


On n’est pas là pour se faire engueuler, jusqu’au 4 mars, Théâtre du Loup, Genève, dès 12 ans.