C’est un spectacle à la fois chaleureux et complètement glaçant. Fidèle Baha, clown ivoirien que l’on a déjà salué dans Cacao, raconte l'arrivée en Suisse de Cyprien, un Ivoirien qui croit au conte de fée du mariage en Suisse, et ce récit, à découvrir dans Toy Boy au Théâtricul, à Genève, sidère.

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Il y a un peu plus de dix ans, sur la plage de Grand-Bassam à Abidjan, Cyprien rencontre une Genevoise qu’il prénomme «Dora mon adorée» et, alors qu’il croit l’accompagner à Genève pour l’épouser, il se retrouve démuni dans l’appartement de la jeune femme. Sans papiers, ni argent, menacé d’être dénoncé à la police au moindre mouvement, Cyprien est réduit au rang d’esclave sexuel. Son cas n’est pas isolé, assure Jérôme Richer, qui signe le texte et la mise en scène de ce spectacle vérité.

Tourisme sexuel

En 2005, dans Vers le sud, le cinéaste Laurent Cantet restitue le cas de riches Occidentales s’achetant les faveurs de jeunes noirs sur les plages haïtiennes. En 2012, c’est au tour d’Ulrich Seidl de raconter dans Paradis: amour comment Teresa, quinquagénaire originaire d’Autriche, vient chercher des sensations au Kenya à travers des relations tarifées. Le tourisme sexuel, pratiqué depuis longtemps en Asie et en Afrique, est une pratique documentée.

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Que de jeunes Suissesses ramènent des Africains chez elles en leur promettant le mariage et qu’en réalité, elles les retiennent captifs, exigeant de leur part des services domestiques et des prestations sexuelles – trois fois par jour quand même –, est nettement moins connu.

Tabou chez les victimes

En cela, Toy Boy est un spectacle phénomène, car très rares sont les victimes qui se confient, explique Jérôme Richer. «Il y a un vrai tabou chez ces hommes d’Afrique de l’Ouest soumis aux schémas des masculinités dominantes. Comme ils ont honte, ils minimisent leur vécu et racontent leur histoire par périphrases.» Précision de l’auteur et metteur en scène genevois: «On a rencontré plusieurs témoins qui ont vécu cette situation et l'histoire de Cyprien condense la totalité des récits glanés».

Cyprien vit donc chez Dora, habitante de Champel. Et s’il chante sa bonne fortune au début du spectacle dans la cuisine high-tech de sa promise, il se met très vite à déchanter devant l’absence de tendresse de sa fiancée et la non-réalisation de ses promesses de mariage.

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En parallèle, Cyprien aligne les tea time avec Dora et ses copines qui, toutes, sont dans la même configuration. Elles ont chacune leur «fiancé» noir qu’elles ont ramené avec elles d’Afrique et dont elles commentent les exploits sexuels comme s’il n’était pas là.

Dénoncé et renvoyé

Mais il y a pire encore. Le jeune Ivoirien se souvient de Paulin, un Burkinabé ramené par Caroline, qui, lassée, «l’a chassé de chez elle avant de le dénoncer à la police». Cyprien a d’ailleurs aussi son moment de haute tension. Parce qu’il prend du poids, Dora le promet à Valérie, car, «elle est du genre à aimer quand ça déborde», rigole la fiancée. Et, pour plus de clarté sur le caractère inéluctable de la transaction, Dora ajoute: «Cypriano, si t’es pas content, c’est pareil. Un téléphone aux autorités et tu es renvoyé chez toi.»

On se pince, non? Mais alors pourquoi, avec un tel récit, le spectacle est-il si chaleureux? Parce que Fidèle Baha raconte cette mésaventure avec beaucoup d’humour. Et de fantaisie, quand il prend un linge de cuisine pour figurer Dora qui reproche à Cyprien d’écouter la musique trop fort. Et de générosité encore, dans cet excellent riz au soja et légumes, sauce cacahuètes, qu’il cuisine pour le public tout au long du spectacle.

Sauvé par un avocat altruiste

La bonne humeur est aussi liée au fait que Cyprien a eu de la chance dans son malheur. Comme il promenait les chiens du quartier pour se faire de l’argent de poche, le jeune Ivoirien a rencontré un avocat qui s’est battu pour lui faire des papiers et lui rendre sa liberté. Il a ainsi échappé à Valérie et son appétit pour les dodus. Mais la tristesse, il l’a gardée en lui. «Dans ma culture, on est formé contre la douleur physique, mais on n’est pas formé contre la douleur affective, la douleur amoureuse, sentimentale. La douleur du cœur, c’est ici que j’ai connu ça», confie Cyprien, la tête dans les bras.


Toy Boy, Théâtricul, Genève, jusqu’au 2 avril.