L’école de la mémoire

«Je mémorise très tôt le matin, de manière primitive. Je suis scolaire et méthodique. Je ne tolère aucune approximation. C’est pourquoi j’ai recours à un répétiteur qui chaque soir me fait réviser mon texte.» (Paris, 4 décembre 2012)

Le métier

«Mon père était gynécologue. Il a accouché ma mère, cinq fois, puisque nous étions cinq. Son cabinet était dans la maison et il fallait faire silence, ce qui donnait à l’appartement quelque chose de mystérieux. Un jour je lui ai dit: «Tu sais, nous faisons le même métier.» (Paris, 4 décembre)

L’esquisse du rôle

«La première chose que j’ai faite, c’est de lire tout ce que je pouvais sur Goldoni, notamment toutes les adaptations de La Locandiera. Mon métier, c’est d’être chercheuse. Dans une première vie, j’ai fait des études d’architecture. Il m’en est resté le goût de la construction. Le texte, c’est l’équivalent des fondations. Après, il y a tout le reste qui est essentiel. J’écoute la musique de l’époque, Mozart en particulier, je rêve sur les tableaux de Guardi, son contemporain, je lis aussi un petit livre de Charles Baudelaire sur le rire. Ce travail, c’est celui de chaque rôle. J’ai besoin de cette matière pour inventer.» (Paris, 4 décembre)

La loi de Goldoni

«Goldoni donne beaucoup d’indications aux acteurs. Nous les respectons au souffle près. J’adore celle-ci: «Il faut pleurer sous le masque.» (Paris, 4 décembre)

Le personnage

«Il ne faut pas se croire plus malin que le personnage. A cinq semaines, je ne le possède pas. La musique sonne juste parfois, mais il y a aussi beaucoup de doutes. «En serai-je capable?» (Paris, 4 décembre)

Le talon

«Trouver la bonne chaussure est capital, sa hauteur surtout. Est-ce que je dois être plus grande que mon partenaire? Je connais la hauteur de talon idéale pour ce rôle, il fera 3,5 centimètres. Pour trouver le bon accessoire, je suis capable de faire du shopping pendant des jours. J’avais besoin d’une veste en cuir pour jouer dans la trilogie de Lucas Belvaux, j’ai cherché, cherché et j’ai trouvé.» (Paris, 4 décembre)

Le corset

«J’ai joué avec des corsets de toutes les époques, du XVI au XIXe. J’adore ça. Pour le rôle de Mirandoline, il m’en faut un calqué sur ceux de l’époque de Goldoni. Il conditionnera ma respiration. Le corset, c’est comme un croquis au fusain, le rôle part de là.» (Paris, 4 décembre)

Le théâtre est un songe

«Je rêve souvent de mes rôles; pour le moment, je fais des cauchemars. J’arrive sur scène et je ne sais plus mon texte. Ou encore je découvre à la dernière minute qu’on m’a volé mon costume.» (Carouge, 26 décembre)

La loi de Goldoni (bis)

«C’est Goldoni qui donne le ton. Son écriture est mathématiquement musicale, il faut la respecter à la virgule près. Il a aussi une connaissance de l’âme humaine infinie. Il ne faut pas oublier qu’il était médecin. La Mirandoline que je joue s’enracine dans sa liberté.» (Carouge, 26 décembre)

Le soleil de la robe

«J’ai choisi le tissu et la forme de l’habit avec la costumière Claire Risterucci. J’ai opté pour une petite veste en lin; ce que j’adore, ce sont les vagues qu’elle fait dans le dos. J’ai dit à Marc Paquien que j’étais prête à ne jouer que de dos. Pour la couleur, je n’avais aucune envie particulière, toutes me convenaient, sauf le vert qui porte malheur au théâtre. J’ai beaucoup regardé les tableaux de l’époque et j’ai été séduite par une certaine simplicité qui caractérise la mise à Florence, la ville où Goldoni situe l’action. Je voulais une tenue sans artifices.» (Carouge, 26 décembre)

Le personnage (bis)

«Le personnage n’est pas là, pas encore. Ce qu’il me faut, à deux semaines de la première, c’est répéter dans la continuité. Il faut soigner le détail, c’est primordial, faire ce qu’on appelle des «allemandes», des répétitions où on dit le texte presque mécaniquement tout en respectant les placements prévus par le metteur en scène. Ce que nous cherchons actuellement, c’est à gagner en vitesse. Nous répétons désormais en costume, ce qui change tout. J’ai une idée de la vie de mon personnage, je voudrais que ma Mirandoline ne soit pas seulement une manipulatrice qui piège un homme d’une caste supérieure qui prétend ne pas aimer les femmes, mais qu’elle soit bouleversée par lui. Je cherche cette qualité de sentiment.» (Carouge, 26 décembre)

La représentation

«Non, le spectacle ne sera pas fini le soir de la première. Mon personnage devra encore s’affiner. Le théâtre permet justement ça, de poursuivre une recherche d’une représentation à l’autre.» (Carouge, 26 décembre)

Le partenaire

«Je voulais qu’André Marcon joue le Chevalier, ce cœur de pierre. Il y a vingt-cinq ans, nous jouions Le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Il était Figaro, j’étais sa Suzanne. Ce spectacle nous a marqués, évidemment. Mais de cela, nous ne parlons pas. Je suis timide, il paraît même que je fais peur. Et lui est pudique.» (Carouge, 26 décembre)

Le chant

«J’aurais rêvé être musicienne, mais je n’ai jamais touché à un instrument. J’ai demandé à Marc Paquien qu’il y ait à chaque répétition un moment de chant. Chanter libère les émotions et puis ça nous oblige à nous regarder, le théâtre est une histoire de regard.» (Carouge, 26 décembre)

Le sommeil

«Il n’y a pas de secret, nous sommes maintenant à deux jours de la première, il faut dormir le plus possible. J’ai supprimé l’alcool aussi, parce qu’il peut avoir des effets sur la concentration. Le rôle, maintenant, est une obsession, jour et nuit, je ne pense plus qu’à ça.» (Carouge, 9 janvier)

Le cahier

«Le soir, après une répétition, je consigne dans un cahier ce que j’ai vécu. Ce sont des notes qui peuvent porter sur une réplique, une manière d’entrer en scène, ce que j’appelle des repères pour la traversée.» (Carouge, 9 janvier)

Jouer juste

«Je sais quand je suis dans le juste. Et je sens quand je suis dans le faux, même si le metteur en scène est satisfait. Je réfléchis et je recommence jusqu’à ce que je touche à une vérité.» (Carouge, 9 janvier)

La coulisse

«Quand je ne suis pas sur scène, pendant la représentation, je relis mon texte. Et je prends des notes sur ce que je vois, sur ce que je sens. Je crois que je suis mûre pour la mise en scène. Pas au théâtre, mais au cinéma. J’ai une envie forte de faire un film.» (Carouge, 9 janvier)

La première fois

«J’avais 15 ans et je suivais un cours de théâtre. Je jouais un extrait du Journal d’Anne Frank. A la fin, ma professeure a rejoué pour moi cette scène. Ce jour-là, j’ai eu le sentiment d’être dépassée par quelque chose de plus grand que soi, de changer de dimension. La force du métier, c’est ça: épouser une fiction tout en étant enraciné dans le réel.» (Carouge, 9 janvier)

Le trousseau de clés

«Marc Paquien a voulu que Mirandoline ait un trousseau de clés, comme pour signifier son pouvoir. Dans La Douleur de Marguerite Duras, j’avais aussi des clés, j’aime cette continuité. Je crois que les rôles que je choisis ont une cohérence. Ma Mirandoline fait l’apprentissage de la liberté en tant que femme. Cette dimension me bouleverse et me touche profondément. J’aspire moi aussi à inventer ma liberté.» (Carouge, 9 janvier)

La dame au chien

«Il y a une nouvelle de l’écrivain américain J. D. Salinger que j’adore. Deux jeunes comédiens suivent un cours d’art dramatique. L’un est dévasté par le doute. Pour qui joue-t-il? Son camarade a cette réponse: «A chaque fois que tu es en scène, pense qu’il y a au fond de la salle une grosse dame qui vient avec son chien, qui ne connaît rien, mais qui a envie d’être là.» Je joue pour cette grosse dame.» (Carouge, 9 janvier)

Mirandoline

«J’ai eu très tôt la certitude que ce qui se passait sur scène était dix fois plus merveilleux que la vie. Goldoni, c’est ma façon de marcher vers le soleil.» (Carouge, 9 janvier)

La Locandiera, Théâtre de Carouge (GE), jusqu’au 2 février. Loc. 022 343 43 43. Durée: 2h15

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Dominique Blanc

Actrice de «La Locandiera»

A propos de sa mise

«Je voulais une robe sans artifices, qui ait la sobriété qui caractérise la Florence de Goldoni, tout le contrairedu baroque vénitien»