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Le far° ose des lendemains qui chantent

La 33e édition du Festival des arts vivants débute ce mercredi à Nyon. Après la guerre et la migration, le rendez-vous contemporain s’intéresse à l’optimisme engagé

«Oh Magic», de Simon Mayer, tente d’établir une connexion profonde entre l’organique et le technologique. C’est une sorte de transe dans laquelle danse et musique envahissent les corps et qui convoque les merveilles de la magie théâtrale. — © Caroline Lessire
«Oh Magic», de Simon Mayer, tente d’établir une connexion profonde entre l’organique et le technologique. C’est une sorte de transe dans laquelle danse et musique envahissent les corps et qui convoque les merveilles de la magie théâtrale. — © Caroline Lessire

Nos futurs. Le jeu de mot fait sourire et c’est l’objectif visé. Après la guerre et la migration, le far° Festival des arts vivants voit l’avenir en rose ou, en tout cas, met en lumière les gestes esthétiques qui imaginent un monde meilleur. D’un côté, des initiatives qui réparent, comme ce cocon norvégien qui se baladera partout dans la région et offrira aux passants un espace où s’immerger dans des paysages sauvages. De l’autre, des performances qui mobilisent, comme ce sabbat enfantin sur un terrain du nord de Nyon pour dénoncer la fringale foncière. Ou encore ce vaste cratère en plein champ, qui, par ses fumées et ses bouillonnements, convoquera les esprits bienveillants de la terre mère.

Esotérique, le far°? «Disons qu’aujourd’hui plus que jamais, l’art contemporain développe un axe organique et sensoriel», sourit Véronique Ferrero Delacoste, heureuse directrice d’un festival qui, comme elle, est inspiré et stimulant. Rencontre.

Le Temps: Véronique Ferrero Delacoste, cette édition, votre huitième, valorise des initiatives de refondation sociale et politique. Pourquoi ce choix?

Véronique Ferrero Delacoste: Après la puissance de la dernière édition consacrée à la migration, nous étions un peu sonnés, mon équipe et moi. Qu’imaginer de plus fort que ce travail de longue haleine avec les réfugiés basés à Nyon que nous avions intégrés dans notre programmation? Et, en même temps, un terme est beaucoup revenu durant le débriefing. C’est le mot «espoir». Un thème difficile, car très vite taxé de naïf, sinon de niais… Tout de même, chargés de cette énergie positive qui émerge plus largement dans la société contemporaine, nous avons souhaité rassembler des démarches artistiques qui témoignent de ce tournant vers un monde réenchanté.

– Sous l’intitulé «Nos futurs», vous avez imaginé quatre parcours…

– Oui, il y a une série de spectacles ou performances qui permettent aux spectateurs de se ressourcer. Une autre qui valorise le partage et le rassemblement, y compris pour s’ennuyer! Une troisième offre qui propose de réinvestir la pensée, mais dans un nouveau rapport au réel, plus fabulé et, aussi, plus fabuleux. Enfin, la quatrième voie ouvre sur une nouvelle créativité, comme cette installation participative où les gens devront s’approprier des objets usagés et leur inventer un destin.

– Dans le premier parcours, il est beaucoup question de grottes – vous organisez même une visite des grottes du Marchairuz –, de sommeil, de cratère et de cocon. Se faire du bien induit la disparition de soi, l’abstraction?

– C’est bien possible qu’aujourd’hui certains artistes cherchent à dissoudre l’ego dans le vaste monde… Le Norvégien Tormod Carlsen promène dans les rues une capsule thérapeutique qui reçoit un seul visiteur pour une immersion réparatrice. Les Austro-Belges Alix Eynaudi et Kris Verdonck imaginent un spectacle de danse devant lequel les spectateurs, couchés sur les gradins, peuvent dormir. L’Espagnole Edurne Rubio parle d’une grotte dans laquelle son père et ses oncles allaient se réfugier pour échapper à la dictature de Franco et la Belge Gwendoline Robin aménage un cratère bouillonnant pour célébrer la vie intestine de la planète… Il y a bien dans ces démarches l’idée d’un refuge dans une nature qui est plus forte, plus équilibrée que l’être humain. Mais ce n’est qu’un volet de la programmation!

– Dans les autres volets, les artistes passent à l’action. Comment? Et jusqu’où?

– En mobilisant la pensée, par exemple, comme la Romande Pamina de Coulon. Dans FIRE ON WATER. Ça flotte ou ça coule?, cette jeune performeuse de la parole convoque les philosophes et poètes pour envisager un monde plus horizontal, débarrassé de son principe de perfection. Elle jouera sa conférence sur l’eau et les spectateurs pourront prendre leur maillot! Ou en organisant des rituels de contestation comme Quatre Hectares, d’Anna Rispoli et de Britt Hatzius. Sur un terrain déclassé du nord de Nyon, dans un secteur qui se densifie à la vitesse éclair, les artistes construiront des gabarits d’immeubles et inviteront une dizaine d’enfants à orchestrer un sabbat de protestation.

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– En parallèle, il y a les initiatives qui valorisent le rassemblement, la force du groupe…

– Oui, y compris pour ne rien faire! C’est par exemple le cas d’Adina Secretan, qui, dans la buvette de la salle communale de Nyon, ouvrira un espace appelé Mama Helvetica, en référence aux lieux d’accueil de jour destinés aux requérants d’asile souvent appelés Mama Africa. C’est un lieu où les gens pourront manger à midi, se reposer, rêver. A 17h, chaque jour, des artistes proposeront un workshop en lien avec leur démarche, mais tout restera très détendu. S’ennuyer ensemble, c’est déjà partager quelque chose!

– Deux choses frappent dans votre programmation. Le nombre de projets en extérieur ou, en tout cas, hors les murs de l’Usine à gaz – il y en a dix sur 27. Et la multitude de propositions où le spectateur n’est pas qu’un simple regardeur…

– C’est sûr que, de plus en plus, les artistes se posent la question du spectateur, de son ressenti et de son implication. D’où le besoin de sortir des murs du théâtre et de faire vivre les démarches dans des lieux publics. Sans compter les propositions qui s’inscrivent complètement dans la nature.

Je ne pense pas que ce soit un désaveu de la fiction ou de la sublimation artistique, mais c’est vrai qu’aujourd’hui les créateurs souhaitent interpeller le public de manière plus directe et plus sensorielle. Je pense par exemple à Christophe Meierhans qui, dans son travail Trial of Money, appelle l’argent à comparaître dans un tribunal pour qu’il réponde de ses actes criminels, du réchauffement climatique à la famine. Difficile d’imaginer sujet plus ancré dans la réalité!

– Vous ne craignez pas que les gens soient un peu refroidis par des sujets aussi musclés?

– Non, parce qu’en regard l’Autrichien Simon Mayer propose dans Oh Magic une transe chamanique dans laquelle il met en scène une rencontre entre humains et robots. Tandis que le duo Clédat & Petitpierre revient au far° avec ses personnages tirés de l’histoire de l’art qui, sur les pas de Flaubert, débattent de la retraite dans le désert… Le far° reste aussi multiple, décalé et coloré!

Le far° en chiffres

  • Fondé à Nyon en 1984 par Ariane Karcher, le Festival des arts vivants vit sa 33e édition. Depuis 2010, il est dirigé par Véronique Ferrero Delacoste, ex-programmatrice danse de La Bâtie – Festival de Genève.

  • Cette année, pendant onze jours, le far° invite une centaine d’artistes qui proposent 27 projets répartis dans 25 lieux, dont 13 créations, 9 projets participatifs et 7 gratuits.

  • Son budget de 920 000 francs est financé à 58% par des fonds publics et à 42% par des fonds privés.

Le far° Festival des arts vivants, du 9 au 19 août, Usine à gaz, Nyon.