Ce que le covid n’a pas réussi, la météo l’a fait. L’an dernier, le Festival de la Cité avait trouvé le moyen d’exister malgré les restrictions sanitaires en limitant l’accès à son enceinte. L’affaire relevait un peu de la réserve d’Indiens, mais la soirée était belle, entre déambulation paradisiaque, pépite théâtrale et concert électro.

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Mardi, la pluie battante a fait plus de dégâts que la pandémie. A quelques exceptions près, tous les rendez-vous à l’air libre ont été annulés et les rares festivaliers qui ont bravé la tempête se sont retrouvés dans des abris improvisés pour des moments plus intimes, moins chahutés. Soirée mouillée, soirée ratée? Non, car les spectateurs courageux ont été récompensés par des perles insolites. C’est ainsi: lorsqu’on brave les éléments, on en ressort toujours gagnants.

Shakespeare vitaminé

Une palme, tout d’abord. Aux Batteurs de Pavé, troupe héroïque du Chaux-de-Fonnier Manu Moser qui, devant un public clairsemé, mais courageux, a conté les aventures de Richard III, roi scélérat, sans ciller sous les seilles d’eau. Chapeau! Et avis aux amateurs d’un Shakespeare drôle et drôlement bien envoyé, le spectacle se donne encore ces mercredi et jeudi, à 20h, derrière la cathédrale.

Mais attention, pour entrer au Festival de la Cité, il faut soit attester d’un vaccin via le certificat covid, soit présenter un test négatif. Et ceci dans deux des quatre aires (La Cité, la Clairière de Tridel) imaginées par Myriam Kridi et son équipe pour cette édition encore soumise aux normes sanitaires -la Cantine de Sauvabelin et le Verger de l'Hermitage restent donc en libre-accès.

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Mardi, en raison des pluies tropicales, les rares festivaliers se sont limités à la Cité. Mais, encore une fois, le parcours n’a pas manqué d’atours. Départ plutôt trash avec Lost Dog de la compagnie espagnole Cal y Canto Teatro. Dans une baraque en tôle, les enfants et les adultes ont assisté aux tribulations d’un chien abandonné qui, entre luttes pour sa survie et combats à mort pour des paris, se débat dans une sombre tourmente qui émeut les plus petits. Mieux vaut respecter l’âge conseillé de 8 ans, vu la noirceur du trait. La belle idée de ce spectacle à découvrir dans la Cour du Gymnase jusqu’à samedi? Les marionnettes évoluant à hauteur de chien, on ne voit que les pieds des protagonistes humains. La musique aussi, lyrique et latino, ajoute à la force du projet.

Chant visionnaire

Musique également, mais plus méditative, cette fois avec 3x Tirésia. Dans le petit Caveau, toujours au cœur de la Cité, une étonnante pythie chante notre avenir en mode orientalo-médiéval. La Belge et délicate Myriam Pruvot demande à un membre du public de s’asseoir devant elle, de choisir parmi divers thèmes «Royaume et Mémoire/Fortunes et Déroutes/Amour et Serment», etc., son domaine de prédilection et de tirer ensuite des cartes «de lieux, de figures et d’objets» de sorte à orienter ses mélopées.

Un monsieur choisit «Forces et Réformes» et pioche en relais «Jouir, route, parents, mets et rumeur». Ajustant micro et instruments électros, la Cassandre écoute sa question muette et entonne en réponse un air languissant qui estime «que la plus grande des réformes serait de faire taire les rumeurs intérieures». Elle conclut sur ce constat partageable: «A jouir, on est de bien meilleurs parents.» Le défi est étonnant, dommage que la sono du bar d’à côté rompe le charme par moments…

Yves-Noël Genod, superstar sensible

Le charme n’est jamais rompu avec lui et on lui dit mille fois merci. Lecteur passionné, dandy inspiré, Yves-Noël Genod est de ces comédiens qui élèvent l’esprit. Déjà apprécié à l’Arsenic ou au Théâtre Saint-Gervais avec sa lecture nonchalante et hypnotique de La Recherche, l’ex-élève de Marguerite Duras et de Claude Régy a de nouveau ravi ses aficionados mardi. D’abord assis dans le très beau, mais très humide, Jardin du Temps – des collines verdoyantes aménagées par Nadia Lauro sur la place du Château –, les spectateurs ont été invités dans les loges de l’artiste et ont reçu en prime un verre de prosecco.

Le nectar était ailleurs. Déambulant à flanc de poésie, le fin lecteur qu’est Genod a cueilli les fleurs du paradis de Coleridge, a évoqué «l'énergie du sans-force, Ferme les yeux afin que s’ouvre le regard intérieur» de Gustave Roud ou «le rien, mais avec splendeur» de Francis Ponge. Un survol à la fois léger, indolent et intense. Comme un élixir de jouvence à savourer encore ce mercredi à 18h30.

Danse et grandes eaux

Et la danse alors? Cette discipline, fleuron du Festival de la Cité, a dû faire sans le très attendu et très chamanique Glottis, de Flora Détraz, annulé car le jardin était détrempé, mais garanti ce mercredi soir. Elle a été énergiquement représentée par Lavagem, de la chorégraphe brésilienne d’Alice Ripoll. Prévu en plein air, ce spectacle s’est donné dans la Salle de Gym Pierre-Viret, et, à coups de seaux, d’eau (encore) et de savon, a proposé une réflexion sur «que nettoie-t-on quand on nettoie? La saleté des maisons ou celle de l’histoire et des civilisations?»

Le thème est passionnant, le résultat beaucoup moins. Se reposant sur l’indéniable talent de ses interprètes, Alice Ripoll a proposé une création qui alterne de manière trop répétitive passages trépidants et moments suspendus et dont la gestuelle reprend sur un mode trop évident cette idée du «plus blanc que blanc». Seule la séquence des naissances se distingue. Ces glissades mouillées de corps à corps fascinent. Le public, pour une fois au sec, a apprécié et applaudi ce spectacle que l’on peut encore voir ce mercredi à 21h.


Le Festival de la Cité, jusqu’au 11 juillet, Lausanne.