A Genève, Ivan Fischer vient faire chanter «son» Orfeo
Lyrique
Le chef hongrois a restauré la scène finale de l’opéra de Monteverdi, que le Grand Théâtre accueille pour deux soirs. Tour d’horizon d’un projet singulier

Il est très clair, Ivan Fischer. «Quand la mise en scène et la direction musicale suivent des voies différentes, alors l’opéra n’a plus de sens.» Cette conception artistique personnelle, elle, a du sens. Pour peu que le Deus ex machina d’un tel projet «total», à la Wagner, ait suffisamment de talent dans les différentes disciplines en jeu.
Pour le chef hongrois, même s’il n’est pas le concepteur du livret et de la musique d’Orfeo de Monteverdi, comme le grand Richard l’était pour ses créations lyriques, l’évidence s’impose. «L’opéra réunit plusieurs arts dans un seul geste. C’est une entité. Cette unité est essentielle. Réaliser la mise en scène tout en dirigeant un ouvrage s’inscrit pour moi dans une dynamique organique.»
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Famille artistique
On se réjouit que le Grand Théâtre accueille cet artiste rare, exigeant et acclamé. Son absence de Genève s’explique par une activité très fournie à Budapest, et comme chef invité privilégié dans des phalanges chères à son cœur.
«J’entretiens des relations suivies et fidèles avec certains orchestres que j’apprécie particulièrement, comme les Berlin et Wiener Philharmoniker, ou le Concertgebouw d’Amsterdam. Je travaille dans un esprit d’équipe très fort, et j’ai besoin d’une famille artistique. Je me concentre sur ceux avec qui je peux, comme un chorégraphe, développer et animer ma propre troupe.»
Un terrain diversifié d’expressions
Depuis plus de trente-cinq ans qu’il dirige le Budapest Festival Orchestra, créé en 1983 avec le pianiste Zoltan Kocsis, Ivan Fischer arpente tous les répertoires. La musique de son pays et du monde, du baroque au postromantisme, avec les plus grands artistes. Mais aussi des projets originaux qui lui permettent de s’exprimer sur ses divers terrains d’expression: la direction, la composition et la mise en scène.
Le dernier «objet» en date passe sur la scène de Neuve pour deux soirs. Orfeo de Monteverdi, considéré comme l’ouvrage fondateur de l’opéra européen. On ne s’étonne pas de l’attachement baroque de l’artiste, qui fut élève puis proche collaborateur et ami de Nikolaus Harnoncourt. Le répertoire ancien fait partie de son terrain de jeu comme tout ce qui peut stimuler la création et la recréation.
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Réhabiliter la scène finale
Pourquoi cette œuvre plutôt que le Couronnement de Poppée ou le Retour d’Ulysse? «Parce que j’adore Orfeo. Son style est très différent de celui des œuvres plus tardives. Lorsque j’étais assistant d’Harnoncourt à Zurich, il avait dirigé une production de Jean-Pierre Ponnelle à laquelle j’avais participé. Nos discussions étaient passionnantes et fructueuses, et m’ont beaucoup marqué. Elles m’ont aidé à me faire ma propre idée de l’ouvrage. C’était mon premier contact avec Monteverdi. J’étais fasciné et n’ai cessé depuis de rêver à m’y confronter personnellement. De plus, j’étais spécialement impatient de pouvoir proposer et réhabiliter la version originale de la scène finale des Bacchantes, abandonnée au profit de celle d’Apollon emmenant Orfeo au ciel.»
Le tempérament du compositeur trouve son bonheur dans ce genre d’explorations. «De cette ultime scène, on possède le livret intégral d’Alessandro Striggio, mais pas la partition de Monteverdi. On ne sait pas si elle a été perdue ou si elle n’a jamais été écrite. Je penche pour la première solution. Cette fin plus tragique, où les Bacchantes dépècent Orfeo qui a désobéi, donne une coloration moins naïve que la montée aux cieux du fautif avec Apollon. Orfeo n’est pas un héros. Il est faillible, donc humain, et c’est pour ça qu’on l’aime.»
Modestie et obstination
Opérer un travail de totale réécriture musicale, sur un tel monument historique, tient de l’exploit et pourrait impressionner, voire décourager. Ivan Fischer s’y est attelé avec modestie et obstination. «Je ne voulais pas d’une nouvelle version, un genre de revisitation modernisante. Je me suis concentré sur chaque mot du texte, son rythme, sa mélodie sous-jacente et j’ai essayé de combiner ces éléments avec le style de Monteverdi, en imaginant comment il aurait composé.»
Cette forme de respect peut paraître frustrante pour un compositeur. Pas pour le Hongrois: «Je n’ai à aucun moment eu envie de composer un nouvel Orfeo. Nombre de créateurs se sont essayés au mythe, et je ne pense pas avoir de grandes et belles choses à ajouter à Monteverdi. Je réserve mon énergie à la naissance d’autres projets plus personnels, qui correspondent à mon style et à mon imaginaire.» D’autres projets qu’on espère voir passer au bord du Léman, et qui sait, avec l’OSR…
«Orfeo». Grand Théâtre de Genève, lu 28 et ma 29 octobre à 19h30.