Un tourbillon de paroles pour une vie qui s’envole. Petula, 50 ans, meurt brutalement et, entre ciel et terre, dans une éternité solitaire, elle refait le chemin à l’envers. «Ai-je assez osé?», «Ai-je assez aimé?» se questionne-t-elle au Théâtre Saint-Gervais.

Après Loin du bal, Un conte cruel et Palavie, Valérie Poirier livre à nouveau la preuve de sa profonde humanité. Dans Vie et mort de Petula, l’auteure romande multiplie les fausses pistes et les vrais flashs pour raconter la complexité de nos existences. C’est drôle et beau comme un poème surréaliste, et c’est d’ailleurs ainsi que le monte l’habile Yvan Rihs. Sur fond de diapositives vintage, Nathalie Cuenet et Pierre-Isaïe Duc, profilés dans des combinaisons automobiles, foncent sur le circuit de la vie.

Lire aussi:  Le destin acidulé de deux exilés

Un baptême. Un landau. Les premiers pas. Le premier été. La première sortie à ski. Le manège enchanté… Sur deux écrans légèrement décalés défilent les clichés d’un bonheur familial surannés. Les futurs baby-boomers sourient à l’objectif, insouciants du péril écologique et des crises à venir. Tout gazouille dans les sixties et cette insouciance fascine les deux narrateurs face à leur micro. «Les gens avaient l’air plus heureux avant, non?» lance la comète blonde. «La vie a l’air d’être une succession de moments idylliques», confirme l’agent très spécial à ses côtés.

Les possibles de la vie

Tous deux, voix flûtées pour mélodies en suspension (David Scrufari au son), flottent dans une lumière vaporeuse, comme poudrée, signée Danielle Milovic, et inventent mille identités à ces clichés datés. «Petula est née à Frankfurt/A Paris/A Mulhouse/A Genève/D’un père inconnu/Chercheur d’or/Conducteur de chemin de fer/Et d’une mère acrobate/Couturière/Milieu modeste/Si on veut/Des frères et sœurs/Pourquoi pas/Une enfance sans histoire/Quelques drames/Ou plutôt des chagrins.» Chacun se passe la balle façon ping-pong et le spectateur est subjugué par ces possibles avortés à peine évoqués.

Lire aussi:  Natacha Koutchoumov bouleverse en femme battue

Plus tard, Petula se choisit une voie: elle a un mari, Didier, deux enfants zélés, un amant latino et une belle-sœur, Marjorie, qui pourrait bien lui voler son plaisir secret… Puis «Petula meurt, comme ça, paf». C’est Pierre-Isaïe Duc qui lâche la nouvelle avec un air étonné et la salle apprécie le précipité. Comme elle apprécie ensuite le voyage en éternité de la quinquagénaire qui cherche désespérément une compagnie à laquelle se frotter. «Où sont les autres?» crie-t-elle trois fois. Avant, elle a parlé à distance avec Marjorie, Didier, sa mère aussi. Des échanges marqués par le regret, la nostalgie…

Et puis défileront les premières amours de Petula, les slows gênés et les baisers maladroits. Une logique d’inventaire, entrecoupée d’apartés à destination du public, comme pour dire à chaque spectateur: et vous, alors, quelle vie êtes-vous en train de mener?

Un vaudeville à la file

Dans le dernier tiers du spectacle, l’éternité de Petula se peuple de ses proches et commence alors la java des ego. Etrangement, ce moment plus animé où les comédiens quittent le micro et incarnent vraiment les personnages n’est pas le plus passionnant. Même si Pierre-Isaïe Duc se fend d’un numéro fracassant où il joue le mari et l’amant en même temps, le vaudeville n’a pas la même puissance que les évocations aigres-douces d’avant. C’est que Valérie Poirier est aussi romancière et, dans la valse des possibles qui rappelle Microfictions de Régis Jauffret, il y a le vertige de toutes nos identités.

Avec la maestria des deux conteurs dirigés comme des musiciens par Yvan Rihs, ce volet est à la fois léger et profond. Un vrai talent.


Vie et mort de Petula, jusqu’au 8 mars, Théâtre Saint-Gervais, Genève.