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A Genève, on dit tout à Latifa Djerbi

Dans «Frustrée!», au Théâtre Pitoëff, la comédienne orchestre un atelier collectif où le public dévoile sa vie privée et assiste au relooking d’une femme usée. Efficace

Emilie Blaser, Latifa Djerbi et, au fond, Lamia Dorner. Le trio parle de féminité, de séduction et de liberté dans «Frustrée!». — © Magali Dougados
Emilie Blaser, Latifa Djerbi et, au fond, Lamia Dorner. Le trio parle de féminité, de séduction et de liberté dans «Frustrée!». — © Magali Dougados

Les gens sont formidables. Le temps d’un spectacle, on leur demande d’afficher leur prénom sur leur poitrail, de s’asseoir en cercle, d’enlever leurs chaussures et de répondre à des questions très privées genre «quand avez-vous perdu votre virginité?», «avez-vous déjà aimé deux hommes en même temps?» ou «avez-vous déjà eu des problèmes d’argent?» et ils le font, sincèrement. Cette serviabilité – à ne pas confondre avec de la servilité – stupéfie, mais ravit aussi. Car elle raconte une confiance et une simplicité encore bien présentes dans notre pays. Des qualités auxquelles Latifa Djerbi adosse sa dernière création Frustrée! qui orchestre une vaste entreprise de «défrustration collective». L’affaire, à voir au Théâtre Pitoëff, à Genève, jusqu’au 29 décembre, est futée et rondement menée.

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«C’est un vrai parcours émotionnel», confie ma voisine au terme de la performance. «Au début, j’avais envie de disparaître et je redoutais le moment où la coach m’interrogerait sur tel ou tel sujet. Mais, petit à petit, j’ai été touchée par ce personnage féminin qui cherche une voie médiane entre le repli sur soi et l’hyper-exposition sexy. Et aussi, j’ai bien aimé le constat final qui dit que ce sont les frustrés qui font avancer le monde!» Le métier de critique est parfois très confortable. Il suffit d’être assis à côté de la bonne personne pour que le spectacle soit parfaitement décodé.

Coach bbd

Car oui, Latifa Djerbi a des marottes. Dans toutes ses pièces, la comédienne d’origine tunisienne parle de son amour éperdu pour l’humanité et pour les hommes en particulier, de sa quête d’un destin tout sauf mesquin et d’un besoin de réconcilier ses racines méditerranéennes qui font «boum» avec la discrétion helvétique qu’elle chérit aussi. Dans Frustrée!, ces ingrédients donnent une femme usée, qui n’a pas fait l’amour depuis quinze ans et assiste à cet atelier dans l’espoir de briser cette longue période de «jachère» pesant également sur ses deux enfants.

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A cette fin, elle confie son cas à une coach bbd – pour belle, blonde et dynamique – (Emilie Blaser, tranchante) et l’audience participe pour de bon, surtout les spectateurs masculins, à sa remise sur les rails de la séduction. De vilain petit canard, la candidate est transformée en cygne noir stylé, se plaît dans ses nouveaux atours glamours, mais finit par décider que, fidèle à ses ancêtres tunisiennes qui se sont battues pour leur liberté, elle vaut mieux que ce stéréotype sur talons perché. Témoin smart de l’échange entre la coach et sa pupille, Saphir, une écrivaine partisane du don d’orgasme (Lamia Dorner), amène la part poétique et philosophique de la soirée. On rit beaucoup, on tremble aussi un peu selon les questions posées et, à la fin, on se dit que Latifa Djerbi a vraiment le chic pour faire exploser des bombes de sincérité.

Frustrée!,  jusqu’au 29 décembre, Théâtre Pitoëff, Genève.