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A Genève, Verena Lopes sidère en mère courage

Connue pour son élan dans les créations d’Evelyne Castellino, la comédienne subjugue par sa manière puissante d’interpréter ce monologue qui parle de jalousie et d’infanticide

Verena Lopes, déchirante dans le rôle de cette mère blessée — © Marc Heimendinger
Verena Lopes, déchirante dans le rôle de cette mère blessée — © Marc Heimendinger

Magnifique. En tant que critique théâtrale, il faut parfois savoir être simple. Et dire sans détour que, dans Girls and Boys, monologue à l’affiche de La Parfumerie, Verena Lopes est stupéfiante. Déjà le texte de Dennis Kelly est plus que brillant en optant pour une succession de faits, qui, bien qu’ils appartiennent au passé, sont racontés dans un présent mordant. Ensuite, la mise en scène alerte de Bastien Blanchard, assisté de Céline Goormaghtigh, permet de passer du plein pétillement à la claque glacée. Enfin, les lumières de Marc Heimendinger sculptent et colorent intelligemment l’espace nu de La Parfumerie.

Mais tout cela ne serait rien sans la comédienne à la beauté racée qui a de l’abattage dans les passages joyeux et une précision chirurgicale dans les moments douloureux. Il faut aller voir sans tarder cette mère courage qui fait pleurer, mais rire aussi, en racontant comment le père de ses enfants, rongé par la jalousie, s’est mué en meurtrier.

Lire à ce sujet: Dominique Marcot: «On ne tue jamais parce qu’on aime trop. Mêler violence et amour est une escroquerie»

Verena Lopes. A 35 ans, cette comédienne et danseuse n’est pas une inconnue. Formée à la danse dans les cours de la compagnie genevoise 100% Acrylique Junior, elle a très vite brillé dans les créations d’Evelyne Castellino, comme Europeana en 2011 ou le récent et remarquableUn discours! Un discours! Un discours!qui est d’ailleurs repris en mars à La Parfumerie. On l’a aussi vue dans Port d’attache, une série de la RTS en 2015. Ou encore dans L’Odyssée d’Homère, revisitée par la compagnie Les ArTpenteurs.

Cette diplômée de l’Ecole de théâtre Serge Martin a toujours séduit par sa vigueur et la précision de son jeu. Désormais, on peut ajouter à son actif une puissante présence scénique et une vraie maîtrise technique qui lui permettent de tenir en haleine un public durant une heure et demie.

Dans ce monologue, la narratrice, qui n'est jamais prénommée, danse parfois. Ici, elle est toute à la joie de sa rencontre amoureuse. — © Marc Heimendinger
Dans ce monologue, la narratrice, qui n'est jamais prénommée, danse parfois. Ici, elle est toute à la joie de sa rencontre amoureuse. — © Marc Heimendinger

Mère en situation

Pourtant la partition de Dennis Kelly n’est pas simple. Dans Girls and Boys, l’auteur anglais alterne le récit palpitant de la rencontre amoureuse ou de l’ascension professionnelle de la narratrice avec, en rupture, des scènes de jeu direct où l’on voit cette mère arbitrer les conflits entre ses deux enfants.

Ce principe est assez audacieux, car les passages avec les enfants durent longtemps et se répètent souvent. Leur intérêt? Montrer dans leur quotidien ces petits dont le destin est brutalement interrompu à la fin du récit. Le spectateur soupire un peu, s’attache beaucoup et reçoit en pleine figure la claque ultime.

Sa force est à l’intérieur

Une claque d’autant plus violente que Verena Lopes restitue les faits fatals avec une grande sobriété. Si elle est volontiers clownesque quand elle joue les deux mannequins de la file d’attente ou sa future boss, très smart et impressionnante, ou encore lors des scènes domestiques, la comédienne parvient à gommer presque toute expression du visage lors du récit sanglant, à l’exception de ses sourcils, marqueurs importants qui palpitent sous l’effet de la douleur. Sa force est à l’intérieur, sa diction limpide, et jamais aucun pathos ne vient parasiter son jeu dans cet instant poignant.

Cette maîtrise scotche l’assemblée. Après les saluts, les visages sont pâles, les sourires embués. Pour la femme blessée que la comédienne interprète, la société n’a qu’un seul objectif, contenir les mâles et leur folie meurtrière. Parfois, malheureusement, la société faillit. Avec Verena Lopes, on ressent les conséquences de cette défaillance jusque dans nos os.

Girls and Boys, jusqu’au 20 février, La Parfumerie, Genève.