Un cri dans la nuit. Et des coups aussi. Peut-être pour rendre la violence plus intense, Romance No 2 – Dancing in a Dark Desert plonge le public dans le noir et lui fait entendre un meurtre perpétré à coups répétés. Rude. Mais ce n’est pas tout. Dans ce spectacle où le son enregistré est roi, Valérie Liengme et Marc Berman pointent les représentations de genre et de classe qui, malgré une résistance croissante, continuent à faire leur loi. La proposition, insolite et éprouvante, est à voir au Galpon, à Genève, avant L’Echandole, à Yverdon.

Mercredi soir, il y avait trop peu de monde dans la salle genevoise pour découvrir le travail de la compagnie du Coût du Lapin. Seuls une quinzaine de courageux avaient bravé la neige pour se plonger dans une ambiance tout aussi glaçante. Celle des mâles impuissants et désorientés qui compensent leur disgrâce en terrorisant (matant, enfermant, violentant, etc.) les femmes à leur portée. Ici, l’homme frustré s’appelle Vlad, ancien boxeur à succès qui ne supporte pas son nouvel anonymat et l’amour fou que vit Calicou, son meilleur ami. Dès lors, il va tuer Lili (Laurie Comtesse), l’égérie libérée et insoumise de son pote préféré.

Ancrage punk-rock

Plongés dans le noir, les spectateurs n’entendent pas ce thriller de manière linéaire. Ils le reçoivent en pièces détachées qui mêlent le présent et le passé, les moments sensuels et les épisodes plus sombres. En parallèle aux aventures de Vlad et Calicou (Juan Bilbeny et Pierre Spuhler), s’exprime également un témoin de l’exécution (Attilio Sandro Palese), qui décrit dans le détail comment un corps électrocuté explose en tous côtés. La charge, lourde et sombre, rappelle l’ancrage punk-rock de Valérie Liengme.

A vrai dire, dans la salle, le noir n’est pas total. Une femme-grenouille à la peau scintillante, sorte de parque échappée de l’Olympe (Monica Budde), vient tricoter en scène (pour de bon) et filer le récit. En live, lui aussi, Mathias Urban promène dans le public ses sacs à commissions et son air égaré: sa femme est partie avec leur fille et le malheureux se met à la boxe pour panser ses plaies. Ce passage sportif est d’ailleurs intéressant, car le comédien à l’exercice dialogue parfaitement avec la bande-son sur laquelle Cédric Djédjé, dans le rôle du coach, donne ses instructions.

Deux mois de montage

Plusieurs fois, Marc Berman, aidé de Malena Sardi, réussit ce prodige: rendre les enregistrements si vivants qu’on tourne la tête pour traquer la situation en question. Parfois les voix se chevauchent, comme les multiples lettres qui commencent par «Cher amour», et le texte devient musique. Après le spectacle, on relève la prouesse à l’intéressé. «Ce tuilage des lettres n’a pas été compliqué à réaliser, observe Marc Berman. La musique des mots s’est faite spontanément. Ce qui a été bien plus difficile, c’est le montage des scènes dialoguées. J’y ai passé deux mois pour parvenir au rythme souhaité.»

Si le noir de la salle n’est pas total, c’est aussi parce que des femmes font tapisserie. Le vidéaste Sven Kreter a filmé une dizaine de comédiennes qui, dans des tenues allant de la robe fleurie à la combi léopard, tombent et retombent du ciel le long des parois du Galpon. «Manière de montrer que, souvent, encore aujourd’hui, les femmes sont réduites à une image, une projection», explique Valérie Liengme. L’effet est assez stupéfiant.

Un soupçon de complaisance

Et lorsque ces mêmes femmes de pellicule se dressent face à nous en grand format et se livrent à une danse secouée sur un rock interprété par deux guitaristes présentes, elles, dans la salle (Ifé Niklaus et Sandrine Girard), on est soulagé(e)s. C’est que, sinon, la grande majorité du spectacle est consacrée aux hommes violents et aux raisons de leur déshumanisation. Ce n’est jamais inutile de rappeler pourquoi une bête blessée blesse à son tour, mais cette déferlante de violence frise par moments la complaisance.


Romance No 2 – Dancing in a Dark Desert, jusqu’au 27 janvier, Théâtre du Galpon, Genève. Le 30 janvier, Théâtre de L’Echandole, Yverdon-les-Bains.