Si pop, Feydeau. Si croquant. Si vif. Et dire qu’il était neurasthénique, malheureux en ménage, malheureux en amour. Georges Feydeau se vengeait de ses chagrins en montant des imbroglios qui, un siècle plus tard, euphorisent toujours. A condition, bien sûr, que les comédiens aient le ressort qui convient à cette gymnastique scénaristique et langagière. Au Loup à Genève, avant une grande tournée romande, 12 apôtres du rire jouent Un Fil à la patte, dirigé au souffle près par ce diable de Julien George. La salle est pleine tous les soirs. On exulte, on trépigne, on applaudit, tant ces olympiades en chambre sont maîtrisées.

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La musique de Feydeau, rien que son tic-tac infernal. Sans s’embarrasser d’âme, puisqu’elle vient en surplus. Lucette (Carine Barbey), chanteuse à la mode, a les yeux qui vrillent quand son amant, Bois d’Enghien (Laurent Deshusses), ronronne à ses pieds. Elle est féline, c’est-à-dire griffue selon l’humeur – on ne voudrait pas être à la place de sa sœur (Mariama Sylla). Elle a la réussite canaille et ne se doute pas que le malheur guette. Il est pourtant annoncé dans Le Figaro du jour, oui, celui qui traîne sur la table: Bois d’Enghien doit épouser la fille de La Baronne qui va sonner dans un instant. Tout le jeu va dès lors consister pour l’amant félon à dissimuler sa forfaiture.

Le génie de la coiffure

Tirer le fil, tout est là, bien sûr, chez Feydeau. Julien George, qui depuis longtemps se fait un bonheur de revitaliser le vaudeville en Suisse romande, n’a pas seulement repris avec brio le rôle du Général sud-américain – à la suite d'un problème de santé d’un camarade – il a taillé chaque figure dans une étoffe burlesque. Le plaisir de la coiffure et du costume au fond. Comme s’il y avait dans ces choix essentiels, le nerf de la farce. La maquilleuse et perruquière Katrine Zingg ainsi que la costumière Irène Schlatter ont fait de ce point de vue des merveilles. Sous leurs pinceaux et leurs ciseaux, ce sont les années 1880-1890, celles de la Belle Epoque, qui clignotent, mais rehaussées par un surréalisme pétaradant.

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Admirez la coiffure de La Baronne (Pascale Vachoux) : le Mont-Blanc fait pâle figure à côté. Et que dire de la huppe royale du dénommé Fontanet (l’impayable Thierry Jorand), dandy qui embaume, hélas pour lui. Ou encore de la tignasse insurrectionnelle de ce rimailleur de Bouzin (David Casada). Toutes ces aigrettes forment une basse-cour froufroutante, où celui qui perd son pantalon perd la face.

Et c’est ce qui arrive, mais on n’en dira pas plus, à Laurent Deshusses, comme toujours superbe dans la débandade. Dans son fauteuil, on bascule donc de l’autre côté du miroir cartésien, porté par la musique hallucinée de Simon Aeschimann. On est à présent chez La Baronne, dans la chambre couleur dragée de sa fille Viviane (Léonie Keller), dont le chignon et la robe sont des chefs-d’œuvre. Bois d’Enghien s’y retrouve, il doit signer le contrat de mariage. Mais Lucette arrive: elle doit chanter pour les noces. Sur ses pas, un général en uniforme fuchsia et à l’accent furieusement hispanique crache le feu de la passion. Un Fil à la patte vire alors en poulailler dingue où un coq à épaulettes sème la terreur, tandis que le dindon de la farce – Bois d’Enghien – prend le maquis.

L’ivresse de la chute. Feydeau ne fait pas de sentiment: il pousse le bouchon – du champagne de préférence – déculotte les cuistres. A un moment, Bouzin, plus ahuri que jamais sur le palier de l’appartement de Bois d’Enghien, lâche, épuisé: «Je suis joué.» Grâce à Julien George et sa troupe, on jubile d’être ainsi joué.

Un Fil à la patte, Théâtre du Loup, Genève, jusqu’au 13 mars. Puis Gland le 18 mars (Théâtre Grand-Champ), Fribourg les 23 et 24 mars (Equilibre-Nuithonie), Bienne le 29 mars (Nebia), Yverdon-les-Bains les 1er et 2 avril (Théâtre Benno Besson), Monthey du 6 au 10 avril (Théâtre du Crochetan), Morges le 13 avril (Théâtre de Beausobre) et Renens du 3 au 15 mai (Théâtre Kléber-Méleau).