Gisèle Sallin, pionnière de la scène
Théâtre
La metteur en scène et directrice signe sa dernière saison aux Osses, théâtre qu’elle a cofondé avec Véronique Mermoud en 1979. Elle parle de l’évolution du métier depuis trente ans

Il faut aller voir l’article consacré à Gisèle Sallin sur Wikipédia. L’encyclopédie en ligne a ses limites, surtout lorsque, comme ici, on connaît les activités de l’intéressée depuis quinze ans. Mais elle a ses charmes aussi. Photographiques en l’occurrence. On y découvre que Gisèle Sallin, 26 ans en 1975, portait le cheveu bouclé serré, telle une Angela Davis romande. La coïncidence est parlante. Tout comme l’égérie féministe américaine, la Fribourgeoise a ouvert des brèches en termes d’émancipation féminine et de libre expression. On en veut pour preuve son grand œuvre, qu’elle partage avec la comédienne Véronique Mermoud: la fondation du Théâtre des Osses en 1979 et son installation à Givisiez en 1990, une scène qui tourne avec un budget de 2, 2 millions de francs, devenue Centre dramatique fribourgeois en 2003.
En septembre, Gisèle Sallin entame sa dernière saison à la tête de cette institution avant la reprise des lieux par un autre duo talentueux, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier. Au moment de présenter son ultime affiche, qui accueille notamment la dernière création de Claude-Inga Barbey, la femme de théâtre évoque les artistes et expériences qui l’ont marquée.
Le Temps: Gisèle Sallin, comment allez-vous célébrer vos trente-cinq ans de direction et de mise en scène?
Gisèle Sallin: Avec Véronique Mermoud, nous avons décidé de ne pas publier de plaquette commémorative, dans la mesure où, sur notre site web, on peut trouver l’intégralité des archives des Osses. En revanche, en février prochain, je mets en scène Rideau!, spectacle pour lequel j’ai joué le jeu de la page blanche. Chaque matin, à 6h, j’ai écrit au plus près de moi une histoire de théâtre, une pièce où la répétition échappe à la metteur en scène. On répète des auteurs que j’aime – Tchekhov, Pirandello ou Sophocle – et, peu à peu, les personnages s’émancipent, le théâtre devient autonome. C’est une manière pratique et non théorique de revenir sur ma vie de metteur en scène.
– Un spectacle qui échappe à son mentor? C’est ainsi que vous résumez votre activité?
– C’est un pied de nez, bien sûr. Mais aussi une manière de rendre hommage à cette fonction qui, comme un réalisateur de cinéma, se situe à la croisée de plusieurs métiers. Un écrivain est seul responsable de son livre. Un metteur en scène doit savoir prendre et apprendre de tous ses collaborateurs. Les comédiens, bien sûr, mais aussi le scénographe, le créateur des lumières, le compositeur de musique, les techniciens. Ce métier n’est rien sans la mise en commun de tout ce savoir-faire. Avec lequel il faut aimer négocier énergiquement!
– Qu’avez-vous appris précisément en trente-cinq ans?
– J’ai appris à me montrer plus présente avec mes acteurs. Quand j’ai commencé, j’étais très timide, je n’osais pas occuper ma place de créatrice au milieu des autres. De 1982 à 1985, j’ai travaillé avec Benno Besson à la Comédie de Genève et j’ai appris cette importance d’exister. Comme lui, je monte facilement sur le plateau pour indiquer une attitude, un comportement, et même incarner un personnage s’il le faut. Pendant les répétitions, je ne prends aucune note, je me souviens de tout que qu’on a trouvé et, si j’oublie, c’est que ce n’était pas une bonne idée.
– Et du point de vue du décor? Des changements, au fil du temps?
– Oui, depuis une expérience malheureuse, en 1980, où on a dû se passer d’un décor qui ne convenait pas à la pièce, nous faisons toujours désormais des essais avec les acteurs dans une ébauche de décor, avant sa construction définitive.
– Depuis près de vingt ans, Jean-Claude De Bemels est votre scénographe attitré. Quelles qualités expliquent une telle fidélité?
– Avec Jean-Claude, on s’entend lorsqu’on rêve du spectacle, à peine besoin de se parler! La complicité est déjà une première qualité. Ensuite, il honore le suffixe «-graphe» de scénographe. Il écrit véritablement sur la scène, il propose un espace qui dit véritablement quelque chose. Enfin, il est un alter ego artistique qui se met au service des acteurs et de la mise en scène avec une vraie humilité.
– En termes de duo de choc, que dire de Véronique Mermoud, cofondatrice des Osses et comédienne spectaculaire?
– Véronique Mermoud est une artiste éblouissante, elle peut jouer tous les registres, épique, romantique, tragique ou comique. Elle travaille de manière constante sa technique vocale, sa respiration, son phrasé; elle ne laisse rien au hasard. En plus, elle a la culture du projet. Bien sûr qu’elle est célèbre mais, pour elle, c’est clair, la star aux Osses, c’est le théâtre. Chez Véronique, j’apprécie encore la femme engagée, la pensée politique. Je pense que sa Mère Courage créée aux Osses en 2005 est la meilleure composition du rôle en français!
– Lorsque toutes deux vous quitterez le Théâtre des Osses en juin 2014, allez-vous refonder une compagnie?
– Non, nous continuerons sans doute à travailler, mais nous n’allons pas fonder une nouvelle compagnie. Laissons la place aux 300 qui existent déjà en Suisse romande. Une véritable explosion en trente ans!
– Justement, quels sont, selon vous, les grands changements que le théâtre romand a connus en trente ans?
– Les conditions de travail se sont beaucoup améliorées. Quand nous avons débuté, il était normal de squatter un lieu et de vivoter pendant des années. Aujourd’hui, dès leur émergence, les nouvelles compagnies bénéficient d’aides, parfois importantes. C’est un progrès. Ensuite, la grande réussite, c’est la création de la Manufacture, Haute Ecole de théâtre de Suisse romande, en 2003. C’est la première fois que les six cantons romands se mettent ensemble pour un projet de formation théâtrale d’envergure, qui devrait stimuler le niveau des acteurs et des metteurs en scène. Je trouve ça très positif.
– Outre la création et la diffusion, un centre dramatique a pour mission d’accompagner la nouvelle génération. Objectif rempli, selon vous?
– Oui, et c’est même un plaisir. Que ce soit François Gremaud, Julien Schmutz, Céline Cesa, Sylviane Tille ou, plus récemment, Anne Schwaller, nous sommes fiers de ces artistes qui se sont formés ou affinés aux Osses. C’est la responsabilité d’un centre dramatique et, dans cette tâche, nous avons été aidées par nos fidèles collaborateurs, comme la danseuse Tane Soutter, la cheffe de chant Sylviane Huguenin-Galeazzi, l’administratrice Marie-Claude Jenny et la comédienne Anne Jenny.
Programme complet de la saison des Osses sur www.theatreosses.ch