On dit qu’elle fut la femme la plus assassinée au monde, à peu près 30 000 fois. Elle disait d’elle-même qu’elle avait été «flagellée, martyrisée, coupée en tranches, recollée à la vapeur, passée au laminoir, écrasée, ébouillantée, saignée, vitriolée…». Et ce n’est que le début de la liste. Elle, c’est Paula Maxa (1898-1970), actrice phare du Grand-Guignol, genre théâtral bien particulier, aficionado de sang et d’épouvante, qui s’épanouit à Paris de 1897 à 1962 dans la salle du même nom, impasse Chaptal, dans le IXe arrondissement.

La carrière morbide de Paula Maxa coïncida avec l’âge d’or du Grand-Guignol, où elle débuta en 1917, rappelle l’historienne du théâtre Agnès Pierron*. La petite salle avait ouvert ses portes vingt ans plus tôt à l’instigation d’Oscar Méténier, «chien de commissaire» au civil – ainsi appelait-on les personnes mandatées pour accompagner les condamnés à mort dans leurs derniers instants.

Méténier écrivit des pièces pour son propre théâtre. Plus tard, André de Lorde et Alfred Binet, parmi les plus marquants, prirent le relais. Les titres du répertoire donnent un aperçu de ce qui se passait sur scène: Le Château de la mort lente, La Dernière Torture, Un Concert chez les fous… Le Grand-Guignol est un film d’horreur sans écran mais au rythme implacable: on y joue sur les tensions narratives, les pulsions d’angoisse (la mort, la folie, la science désaxée), les coups d’éclat et, bien sûr, l’hémoglobine – des ampoules de carmin liquide faisant office de premier effet spécial.

L’auteur Charles Foleÿ appelait ses pièces des «comprimés de terreur». Et si la pilule avait quelques fois du mal à passer du côté de la censure, on s’y rendait en masse pour s’encanailler. Parfois au sens littéral, à l’abri des regards, dans les loges grillées du fond de la salle…

Le théâtre de l’impasse Chaptal a fermé en 1962, après des années de dilution esthétique et économique. Le Grand-Guignol devait alors se figer pour des décennies en objet d’antiquaire, pire, en nom commun, synonyme de ridicule. Mais en 1995, Agnès Pierron lui offrit la résurrection en publiant l’anthologie de son répertoire. Ce livre noir allait réveiller des envies…

De fait, de nouveaux spectateurs sont apparus. On comptera parmi eux le metteur en scène Frédéric Jessua, dont la troupe, après avoir tourné à Aigle et Neuchâtel, investira mardi le Boulimie de Lausanne (lire ci-dessous). Pour lui, le Grand-Guignol permet une confrontation particulièrement intense avec le spectateur: «C’est un genre qui instaure un rapport particulier entre celui qui sait (l’acteur) et celui qui vient en sachant ce qui l’attend (le public). Le travail consiste à gérer une tension. Le jeu consiste à brouiller les pistes de façon à ce que la chute surprenne tout le temps.»

On n’a pas trouvé meilleure manière de mêler le trouble à l’effroi.

* «Le Grand-Guignol: Le Théâtre des peurs de la Belle Epoque», chez Robert Laffont. Et aussi: «Les Nuits blanches du Grand-Guignol» et «Maxa. La femme la plus assassinée du monde».

Le Grand-Guignol est un film d’horreur sans écran