Alors, à genoux, les acteurs culturels genevois? KO après la décision de la commission des travaux du Grand Conseil de refuser, mardi soir, le projet de Nouvelle Comédie, par neuf voix contre six? Mais non. Ou du moins pas comme on l’imagine. Hervé Loichemol, directeur actuel de la Comédie, lance même: «Je suis optimiste, ça se fera, parce que sur le fond personne ne conteste le projet.»

Surprise, Frédéric Hohl, député PLR et membre de la commission qui a dit niet en l’état au vaisseau, serait presque sur la même ligne: «On nous demande 45 millions, c’est énorme, c’est trop. Mais l’Etat et la Ville négocient ces jours la répartition d’un certain nombre d’institutions culturelles. Si la Ville garde sous son aile la Comédie, si elle s’engage à soutenir la future institution, dont le budget devrait avoisiner les 16 millions, nous voterons le crédit de construction.»

Sonnettes d’alarme

Les jeux ne sont pas faits, de loin «Si le Grand Conseil refuse le crédit (le Conseil municipal a de son côté déjà accepté de payer la moitié de l’affaire, soit quelque 53 millions ndlr.), cela revient à condamner un théâtre à Genève, plaide Hervé Loichemol. Parce que la Comédie actuelle est si vétuste et délabrée qu’on sera obligé de la fermer dans les dix ans qui viennent.»

Alarmiste, ce discours? «La Comédie est sous perfusion, souligne Christine Ferrier, responsable de communication de l’institution. Depuis 1913, date de sa construction, elle n’a fait l’objet que de travaux de sécurité et de mise en conformité pour le public.» C’est ainsi que la jauge a été ramenée ces dernières années de 613 spectateurs à 476. Si la façade en impose toujours, les entrailles sont gangrenées et pour tout dire incurables.

Nombreux refus

«L’acoustique est catastrophique, à cause de la réverbération, poursuit Hervé Loichemol. Les conditions de visibilité sont médiocres, par exemple sous le premier balcon. Il n’y a pas de coulisses à jardin et, à cour, elles sont coupées par un mur. Cela signifie qu’il n’y a pas d’espace de stockage pour les décors. Le pis, ce sont leurs conditions d’acheminement. Pour accéder à la scène, ils doivent passer par une trappe d’un mètre cinquante.»

On ne compte plus les grands spectacles auxquels la Comédie a dû renoncer à cause de son plateau. Rien que ces douze derniers mois, les Genevois ont été privés des «Nègres» de Bob Wilson et de «La Double inconstance» de Marivaux, monté par Luc Bondy. Ce handicap est source de plaisanterie et d’exploits: il y a deux ans, les techniciens sont obligés de démonter entièrement une Cadillac qui figurait dans un spectacle. «Le montage et le démontage prennent plus de temps qu’ailleurs, ce qui a aussi son coût», note encore Hervé Loichemol.

Que la Nouvelle Comédie ne se dresse pas sur les hauteurs du quartier des Eaux-Vives, personne ne veut l’envisager, à commencer par Pierre Naftule, metteur en scène de La Revue. «Lausanne, Neuchâtel, Winterthour ont un théâtre prestigieux, qui comprend un restaurant, des studios de répétition. Si nous voulons continuer à nous distinguer, ce qui est notre marque, ne construisons pas la Nouvelle Comédie. Quant au coût de 100 millions, il n’est pas choquant, à condition que le futur patron de la maison ait le souci d’un large public, comme Benno Besson ou Claude Stratz en leur temps.»

Si peu contestent la nécessité d’un théâtre adapté aux exigences contemporaines, certains remettent en cause le projet, notamment la jauge de la salle principale, 500 sièges. «La moindre petite ville construit des salles de 800 places et nous nous contentons de 500, c’est ridicule, assène Frédéric Hohl. Le Théâtre de Bonlieu à Annecy compte 950 fauteuils. Sur un budget de 6,5 millions, sa billetterie représente 2 millions. A Genève, nous serons loin de ce rapport.»

A cet argument, l’acteur Jacques Michel, membre de l’Association pour une Nouvelle Comédie qui œuvre depuis quinze ans, réplique: «Le théâtre que nous voulons est destiné d’abord à la création. Dans une salle de 500 places, chaque spectateur est un prince. Une telle jauge permet aussi aux spectacles de se jouer plus longtemps, ce qui est un gage d’emploi pour les acteurs et de qualité pour le public.»

Pas d’abattement, donc. Mais l’envie d’en découdre. Codirectrice du Théâtre du Grütli jusqu’en 2012, Maya Bösch se dit prête à se mobiliser. «Avec le projet de Pavillon de la danse, celui de la Nouvelle Comédie, j’ai senti que quelque chose était en train de bouger qui peut donner un élan magnifique à la vie culturelle régionale. Il ne faut pas laisser retomber ce souffle.»

Tractations épiques

Si l’Association pour une nouvelle Comédie appelle à se mobiliser, c’est en coulisses que tout se joue, entre Ville et Etat. «Nous avions proposé en commission un ajournement du vote sur la Nouvelle Comédie, dans l’attente que des décisions claires soient prises sur l’attribution des institutions culturelles à l’Etat ou à la Ville, explique Frédéric Hohl. Je suis pour que chaque entité ait son objet, sans partage.» Il se murmure que la droite voudrait voir tomber dans son escarcelle le Grand Théâtre, fief historique de la Ville. La Comédie reviendrait entièrement à cette dernière. Si le troc se fait, le Grand Conseil votera le crédit. Mais sans doute moins que la somme prévue, annonce Frédéric Hohl. Une histoire de symbole, d’influence et de pouvoir. Il arrive que Shakespeare joue au Monopoly.