Avant-scène, deux danseurs se parlent. Ou plutôt, ils font semblant de se parler avec beaucoup d’animation, car aucun son ne sort de leur bouche. L’homme tourne le dos au public. La femme nous fait face. Les deux se regardent, yeux dans les yeux. La séquence dure plusieurs minutes, puis, imperceptiblement, la femme se déplace à gauche, à droite. Plus tard, ils se taisent, ils s’enlacent. Puis, ils se détachent et recommencent à parler. Ensuite, le danseur porte la danseuse jusqu’au fond de la scène. Ils se placent à distance, secouent les mains en écho, se regardent et se remettent à parler.

Twisted Pair, à voir au Théâtre de l’Usine, à Genève, est un spectacle laboratoire que Ioannis Mandafounis, ex-membre de la Forsythe Company, signe avec trois autres danseurs (Nikos Dragonas, Olivia Ortega, Katerina Skiada). La démarche, d’une rigueur absolue, consiste à mêler examen du corps et indices de théâtralité. D’un côté des déplacements – en marchant, en rampant ou en se tirant par les pieds; des tremblements – secousses qui vont du séisme au rapport sexuel; et des portages, parfois spectaculaires – lors d’une séquence, Ioannis Mandafounis porte ses trois partenaires sur le dos et traverse la scène. De l’autre côté, la théâtralité se manifeste à travers les regards, très directs, et les sourires. Il ne s’agit pas de danseurs effacés, mais de personnages incarnés. Le théâtre apparaît aussi dans le final, mélodramatique: on y voit une danseuse tirer un coup de feu imaginaire sur une autre danseuse qui s’écroule en grimaçant, tandis que tous braillent «Hep, hep» comme des volailles affolées…

Twisted Pair n’est pas qu’une observation ardue ou autre mise à l’épreuve du public, même si certains soirs, des spectateurs interloqués se mettent à chahuter. Au-delà de la radicalité du procédé, cette évaluation de la matière dans l’espace crée un effet d’hypnose. On est fasciné par ce zèle exploratoire, cette manière tranquille et drolatique de tester chaque combinaison et position du corps. On entre dans une logique ludique qui renvoie non seulement à l’enfance, grande période de découvertes liminaires, mais aussi à la vieillesse, ce moment où le corps, plus douloureux, plus fragile, doit être réapprivoisé avec ses nouvelles données. Le corps, cet allié, ce mystère, nous souffle Twisted Pair.

Twisted Pair, jusqu’au 8 déc., au Théâtre de l’Usine, Genève, 022 328 08 18, www.theatredelusine.ch