Karine Grasset a deux passions. La danse, qu’elle a pratiquée pendant vingt ans, dont dix dans la compagnie de Philippe Saire, à Lausanne. Et l’aide aux artistes, qu’elle a mise en œuvre en veillant à la reconversion des danseurs avant d’embrasser en 2008 la cause des tournées à la tête de la Corodis, la Commission romande de diffusion des spectacles. Dès avril prochain, la quadragénaire au beau regard vert mettra sa connaissance de la scène locale au service de l’Usine à gaz, à Nyon, dont elle vient d’obtenir la direction.

Elle a d’abord été un corps, leste et précis, avant d’être une voix qui compte. Si beaucoup d’artistes dirigent les lieux dans lesquels ils créent, rares sont ceux qui se consacrent au rayonnement de tous. Karine Grasset possède cet altruisme et, chaque fois qu’elle évoque les douze ans qu’elle vient de passer à la tête de la Corodis, elle s’enflamme.

Je suis très touchée par l’affection que la population nyonnaise porte à ce bâtiment qu’elle a sauvé de la démolition, il y a trente ans

Karine Grasset

«J’ai adoré ce poste où tu contribues réellement à l’essor des compagnies. En plus de l’aide aux tournées, je suis heureuse d’avoir pu développer les Salons d’artistes, où les metteurs en scène détaillent leurs projets aux directeurs de théâtre et ceci, avant la création du spectacle, de sorte à ce que les lieux participent à leur production. En plus, depuis deux ans, nous invitons les directeurs à se présenter aux artistes, afin de rééquilibrer le rapport de force.»

Rude compétition

Car, oui, et c’est un fait qui préoccupe le monde culturel, le nombre de compagnies romandes a explosé ces dernières années. En 2008, 122 employeurs (donc compagnies) étaient affiliés à Artes et Comedia, la caisse de prévoyance de la profession. En 2018, ils étaient 771! «Comme les subventions publiques n’augmentent pas dans les mêmes proportions, la compétition est très rude, souligne la spécialiste. Dès lors, nous nous assurons que les salaires des spectacles que nous soutenons respectent le minimum syndical de 4500 francs brut.»

A la Corodis, Karine Grasset a également contribué à «la création du site internet et d’une newsletter qui mentionne les dates et lieux des spectacles suisses romands en tournée». Et l’ex-danseuse peut encore se féliciter d’avoir lancé la Sélection suisse en Avignon, cette vitrine des spectacles romands qui fait régulièrement sensation lors du plus grand festival de théâtre européen et débouche sur des tournées à l’étranger.

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Prochaine étape, l’Usine à gaz, lieu actuellement en travaux qui rouvrira au début de l’année 2021 avec une salle supplémentaire et un appartement pour des résidences d’artistes. Karine Grasset gérera l’endroit, y programmera les arts vivants, tandis qu’un spécialiste des musiques actuelles – qu’elle a déjà choisi – composera la saison des concerts propres à l’identité de cet espace. «Je suis très touchée par l’affection que la population de Nyon porte à ce bâtiment qu’elle a sauvé de la démolition, il y a trente ans. Je vais travailler main dans la main avec l’association qui m’a engagée et profiter de mon réseau d’artistes pour donner à ce théâtre une forte visibilité sur la scène contemporaine.»

On regarde cette fine femme et fine lame et on se dit qu’elle a dû grandir dans un milieu imprégné de culture. Elle rit: «Pas vraiment. Rien ne me prédisposait à la danse et à la gestion culturelle. J’ai grandi à Jonzac, une ville de 4000 habitants près de Bordeaux. Mes grands-parents étaient dans la paysannerie et les vignes, mon père était taxi et ma mère était commerçante. D’ailleurs, au départ, ma soif de mouvements, je l’ai assouvie dans le sport. J’ai fait beaucoup de handball, de gymnastique et d’athlétisme. Mais, c’est vrai, je dansais tout le temps. A 14 ans, pour une fête du collège, j’ai composé un solo sur un tube de Madonna, où je faisais notamment la roue et le grand écart. Mon oncle, qui m’a filmée, m’a dit que je devais suivre un cours de danse. Il m’a parlé du Conservatoire de Saintes et, même si ça a été une gymnastique organisationnelle pour m’y emmener quatre fois par semaine, j’y suis rentrée en septembre pour ne plus jamais arrêter. La danse est devenue une passion absolue.»

Du pain noir

A 18 ans, Karine pense devenir professeure de danse, car elle n’imagine pas pouvoir vivre de ce métier comme artiste. Elle se rend à Montpellier suivre une école pédagogique et c’est dans cette ville dansophile qu’elle découvre la part chorégraphique de cette activité. «En voyant les spectacles de Dominique Bagouet, j’ai compris et adoré sa puissance. J’ai gagné une bourse pour rejoindre le Centre national de danse contemporaine à Angers dirigé par le couple Bouvier-Obadia et, l’année d’après, je suis montée à Paris où j’ai mangé mon pain noir en tentant toutes les auditions.»

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C’est là que le chorégraphe lausannois Philippe Saire la repère et l’engage pour une collaboration de dix ans qui sera «exemplaire». «Non seulement Philippe implique ses danseurs dans la recherche artistique, ce qui rend la collaboration passionnante, mais en plus, lorsque j’ai dû me reconvertir, car je me suis séparée de mon compagnon et j’ai dû gagner plus d’argent pour éduquer mes deux garçons, Philippe m’a libéré du temps, en pleine création, pour que je suive un enseignement en gestion culturelle. Cette générosité est assez rare pour être soulignée.»

On sourit, car la syndicaliste reprend le pas sur l’artiste. «C’est vrai, je trouve très important que, en plus d’être un bon créateur, un chorégraphe ou un metteur en scène prenne soin de ses collaborateurs.»


Profil

1971 Naissance à Jonzac, en Charente-Maritime.

1996 Début de la collaboration avec Philippe Saire, à Lausanne.

2006 Secrétaire générale de l’Association pour la reconversion des danseurs professionnels.

2008 Secrétaire générale de la Corodis, Commission romande de diffusion des spectacles.

2019 Désignée comme future directrice de l’Usine à gaz, à Nyon.