Au long de la semaine, «Le Temps» propose des bilans de l'année culturelle.

Le 14 juillet passé, la fête nationale était helvétique, du moins à Avignon. Au festival, connaisseurs et profanes se passaient le mot. Au cœur de l’océan du off, quelque 1500 spectacles, l’archipel suisse brillait d’un feu sidéral. Fabrice Melquiot, auteur qui écrit à l’encre sympathique – celle des secrets – des fables qui vous bouleversent à l’improviste, invitait les festivaliers à goûter la dernière nouveauté de son Théâtre Am Stram Gram à Genève: Hercule à la plage, comédie au bord des larmes où une certaine India, jouée par Hélène Hudovernik, retrouve les trois fiancés de son adolescence.

Au même endroit, le Gilgamesh, le Colombo-Suisse Omar Porras déroulait en sorcier madré la pelote de sa jeunesse dans Ma Colombine, superbe transfiguration poétique signée elle aussi Fabrice Melquiot.

A quelques rues de là, les danseurs Nadine Fuchs et Marco Delgado démontraient, dans le décor aseptisé de la Collection Lambert, que le Kama-sutra est aussi un art de chez nous. Leur Nirvana a déridé et interpellé, à l’image des quatre autres pièces choisies par Laurence Perez, directrice de la Sélection suisse – soutenue par Pro Helvetia, la Corodis et les cantons. Le journal Libération consacrait deux pages à ce havre d’impertinence, incarnée par Romain Daroles et sa Phèdre! – adaptation lumineuse de Racine par François Gremaud.

Le 14 juillet, Fabrice Melquiot et sa bande organisaient un bal littéraire dans une église désacralisée. C’était le Nirvana et il était suisse. A. Df


Les 10 meilleurs spectacles de l’année

«Cécile», de Marion Duval

Le choc de l’année. Montré à Lausanne (Arsenic) et à Genève (Saint-Gervais), le récit secoué d’une militante imaginée par Marion Duval et jouée par Cécile Laporte, qui livre son corps dans toutes les batailles. Les enfants hospitalisés qu’elle divertit en clown radical, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes qu’elle défend en se dénudant ou les jeunes handicapés qu’elle emmène réveillonner dans un restaurant guindé. Extrême et extrêmement attachant. M.-P. G.

Cécile, sa vie est un roman militant


«Summer Break», de Natacha Koutchoumov

Summer Break, ou Le Songe d’une nuit d’été considéré comme une épreuve initiatique pour des acteurs à l’aube de tout. Au Loup à Genève, avant La Chaux-de-Fonds et Sierre, Natacha Koutchoumov plongeait Shakespeare dans les eaux lunaires du fantasme. A. Df

Le double jeu démoniaque de Natacha Koutchoumov


«Les Italiens», de Massimo Furlan

D’un côté, l’Helvetia, avec sa lance et son bouclier. De l’autre, une Fiat 500 dans laquelle s’entassent trois papis, immigrés italiens déguisés en supermen de pacotille. Massimo Furlan a toujours eu la science des images qui éclairent la mémoire populaire. Dans Les Italiens, à Vidy, il ajoute l’art de l’évocation chorale et fait pleurer dans les travées. Partout, depuis sa création à Vidy, le spectacle affiche complet. M.-P. G.

A Vidy, «Les Italiens» bouleversent aux larmes


«Tous des oiseaux», de Wajdi Mouawad

Tous des oiseaux, ou Roméo et Juliette en proie au cauchemar moyen-oriental. Wajdi Mouawad signe une saga hallucinante au festival La Bâtie, portée par des acteurs fantastiques, dont Souheila Yacoub. A. Df

Le puzzle infernal de Wajdi Mouawad


«Si les pauvres n’existaient pas, faudrait les inventer», de Jérôme Richer

Des déclassés. Des sous-citoyens. Ecrit d’après des témoignages glanés par Jérôme Richer, Si les pauvres n’existaient pas, faudrait les inventer est un spectacle à l’humour acide, qui montre au Théâtre du Grütli à quel point argent et dignité sont liés, et rappelle que personne n’est à l’abri d’un coup de moins bien. D’une rare efficacité. M.-P. G.

Au Théâtre du Grütli, la pauvreté s’exprime sans ambiguïté


«Une des dernières soirées de carnaval», de Clément Hervieu-Léger

Au Théâtre de Carouge, le metteur en scène Clément Hervieu-Léger lève le rideau sur la Venise intime de Carlo Goldoni. Une troupe en état de grâce transforme le menu fretin de l’existence en perles. A. Df

Carlo Goldoni, tisserand de rêve à Carouge


«Mama», de Margot Van Hove et Floriane Mésenge

A l’image de Lætitia Dosch ou de Marion Duval, Margot Van Hove est une comédienne totale. Dans Mama, au 2.21 à Lausanne, elle propulse le public dans le territoire des archétypes féminins, la sainte, la maman et la putain, qu’elle explore à fond, sans le filtre de la bienséance. Intense. M.-P. G.

Margot Van Hove, son corps dans la bataille


«Bajazet», de Frank Castorf

Bajazet, en considérant le théâtre de la peste. L’Allemand Frank Castorf soumet au feu d’Antonin Artaud les alexandrins de Jean Racine. Cette épreuve de force servie par les stupéfiants Jeanne Balibar, Claire Sermonne et Jean-Damien Barbin épuise les uns, brûle les autres. Une onde de choc durable. A. Df

La jungle de Racine selon Frank Castorf


«Campana», du Cirque Trottola

Un cirque qui gratte, grogne et détonne. Campana, des Trottola, est un mélange d’acrobaties main à main et de pépites mélodiques, vu au Festival de la Cité puis à Vidy. Le colosse Bonaventure Gacon et sa compagne, la menue Titoune, sidèrent avec leur ton, leur inventivité et leur talent. Un arte povera qui résonne de toute la colère du monde. M.-P. G.

A Lausanne, la poésie des Trottola va sidérer Vidy

 


«La Consagración de la primavera», de Sylvie Courvoisier, Israel Galván et Cory Smythe

Le Sacre du printemps sous les doigts de la pianiste Sylvie Courvoisier – avec son complice Cory Smythe – et dans les pieds de l’idole du flamenco Israel Galván. Une sorcellerie rythmique et métaphysique à Vidy. A. Df

Marie-Sylvie Courvoisier, le corps et le mouvement