Publicité

Machiniste de légende, Bruno Dani révèle les fantômes de Vidy

Bourlingueur des tréteaux, expert en fils et poulies, le Valaisan de 65 ans tire sa révérence au théâtre lausannois. Confession d’un anarchiste des planches

Bruno Dani: «Si je n’avais pas rencontré le metteur en scène Benno Besson en 1989,  j’aurais fini dans le mur.» — © Valérie Baeriswyl pour Le Temps
Bruno Dani: «Si je n’avais pas rencontré le metteur en scène Benno Besson en 1989,  j’aurais fini dans le mur.» — © Valérie Baeriswyl pour Le Temps

Un anarchiste de rêve. Bruno Dani possède une bouille d’atmosphère qui défie tous les conformismes. Chaque soir, depuis trente ans, les spectateurs le croisent dans les théâtres romands, à Vidy en particulier, sa maison. Ils spéculent sur cette tignasse qui évoque le druide ou le carbonaro, sur cette rêverie en clair-obscur, sur ce bloc de silence, poignant comme un glacier en été, au milieu du foyer qui jacasse.

Bruno Dani, 65 ans, est un de ces laconiques sans lesquels il n’y a pas d’illusion comique. Depuis 1990, ce machiniste construit à Vidy les décors; en coulisse, pendant la représentation, il tire les fils qui les libèrent de la pesanteur; après l’extinction des feux, il les charge dans les camions pour que le spectacle revive ailleurs le lendemain.

C’est ainsi qu’une vie trouve soudain son cap, au service du jeu. A Lausanne, il apprend la grande grammaire, celle qui transforme une matière roturière en prodige de lumière. Parfois, il est même sur scène, parce que, dans un spectacle, sa gueule d’anarchiste angélique est un gage de vérité, celle du témoin clandestin, du deus ex machina en bleu de travail.

Mais c’est ces jours qu’il distille sa partition la plus intime. Les visiteurs de Boîte noire - Théâtre fantôme, périple au cœur de Vidy, ont entendu, dans leurs casques audio, sa voix de mayen. «Le metteur en scène Stefan Kaegi m’a demandé si je voulais réveiller les fantômes. J’ai dit oui, sans y penser. Et puis j’ai été submergé par l’émotion. Parce que voir partir un théâtre, c’est quelque chose…»

Lire aussi notre critique: Stefan Kaegi fait parler les fantômes de Vidy

Sous le soleil, Bruno démonte encore les toiles de sa vie: les spectacles, il les vivait sous les trappes de la grande scène, là où douches et loges forment un habitacle secret. Sa joie? Se pointer tous les jours au théâtre à l’heure des croissants et le quitter à l’aube, pompette et euphorique, avec la bénédiction de René Gonzalez, le patron de ses grandes années.

Pas de règlements tue-l’amour alors, ni de tableaux Excel, rit-il. «Vincent Baudriller est magnifique, mais il incarne un autre temps.» «Et l’avenir, Bruno?» «Avec Pascale, ma compagne depuis quinze ans, nous partons cet été en Bretagne, avec la caravane, et l’on ira là où il n’y a personne.» Cet automne, dans sa maison à Sierre, il soignera ses tomates et ses aubergines. Et puis il raclera son fromage à la bonne franquette, pour les copains. A l’occasion, il reprendra du service, pour le plaisir de fumer un cigare avec un ami taiseux.

Sur la carlingue de son camping-car, Bruno devrait graver, en guise de devise: «Oh les beaux jours».

Profil

1955 Naissance à Sierre, d’un père suisse d’origine italienne et d’une mère piémontaise.

1989 Rencontre Benno Besson, qui a changé sa vie.

2011 Joue le bourreau dans «La Panne» de Dürrenmatt, à Vidy et en tournée.

2020 Témoigne d’une vie de coulisse dans «Boîte noire – Théâtre fantôme» à Vidy.

Retrouvez tous les portraits du «Temps».