Meyrin s’offre une fabrique de spectacles
Scène
L’architecte genevois Christian Dupraz a conçu une «Maison des compagnies», 1500 mètres carrés sur trois étages qui répondent, en partie, aux besoins criants des artistes de la région. Visite

La ville de Genève en rêvait depuis vingt ans. Sa cousine meyrinoise le réalise. L’une des communes les plus cosmopolites de Suisse romande s’offre une fabrique de spectacles. A 1000 mètres de l’aéroport de Cointrin, au cœur d’une zone où tout est bruit, où rien ne dispose à la contemplation, fors les cerisiers, l’architecte genevois Christian Dupraz signe une petite prouesse architecturale, soit un bâtiment de 1500 mètres carrés sur trois étages. La structure se fond dans l’ambiance industrielle du site, mais offre à deux troupes genevoises en vue, la compagnie de danse Alias et le collectif théâtral STT, un espace parfait pour manufacturer leurs pièces.
Car ce jeudi, c’était bien le printemps à Meyrin. Et à l’entrée de la Maison des compagnies – nom du bâtiment –, en face d’une église apostolique, Christian Dupraz avait la mine hâve des artistes les soirs de première. En ce jour d’inauguration, il lui fallait lever le rideau sur son œuvre. A l’origine, raconte-t-il, c’est la Fondation meyrinoise du Casino qui lui confie le mandat de construire une structure destinée prioritairement à deux artistes en résidence au Forum Meyrin, le chorégraphe Guilherme Botelho – capitaine de route d’Alias – et le metteur en scène Dorian Rossel, qui dirige la compagnie Super Trop Top (STT).
Un site ingrat a priori
«Le contexte n’était pas très poétique a priori, poursuit-il en vous conduisant, tout de suite à gauche de l’entrée, vers la grande salle de travail, 17 mètres sur 15 à vue de nez, soit les dimensions d’une scène contemporaine, parfaitement équipée qui plus est avec son gril qui peut supporter 3 tonnes de matériel. J’ai voulu que ce bâtiment révèle autre chose de Meyrin, j’ai travaillé sur l’idée d’exception.»
Les contraintes, Nathalie Leuenberger vous les rappelle à l’instant. «Nous voulions un lieu fonctionnel qui réponde aux besoins criants des artistes», explique la présidente du Conseil de la Fondation meyrinoise du Casino. Car c’est bien cette dernière qui a financé la construction de la maison, soit 8,3 millions. «Il fallait aussi que cette structure soit démontable, puisque Meyrin a acquis cette parcelle pour dix ans», souligne celle qui est aussi conseillère administrative de la commune – elle tient à ce titre les rênes de la Culture.
La surprise des paysages
On emprunte à présent l’escalier métallique. A l’étage, une cuisine baignée par le soleil. Mais aussi une loge d’allure aérienne lambrissée de bois lasuré. Au fond du corridor, à gauche, d’autres marches, hautes et larges, idéales pour accueillir les élèves des écoles meyrinoises à l’occasion d’une démonstration ou d’un petit laïus avant une répétition. On grimpe ces marches et on découvre la seconde salle, réservée aux danseurs, celle-là. «J’ai voulu que chaque fenêtre donne sur un paysage inattendu», souffle Christian Dupraz, dont le frère, Pierre-Alain, réalisera la Cité de la musique.
A qui profitera cette Maison des compagnies? Aux deux troupes affiliées au Forum Meyrin prioritairement. Mais aussi aux artistes qui voudraient y développer des projets. «Ce lieu sera accessible à tous les créateurs désireux d’y répéter leurs spectacles, en fonction des disponibilités», explique Patrick Merz, administrateur tout juste nommé de l’entité. Un comité de pilotage où siégeront Anne Brüschweiler, directrice du Forum, Axel Roduit, responsable du Service de la culture à Meyrin, et Michel Aebischer, représentant du Conseil de la Fondation du Casino, statuera sur les candidatures. Les élus auront à s’acquitter d’un loyer en fonction de la salle qu’ils occuperont – tout comme Alias et STT, qui bénéficient en revanche de la gratuité pour leurs bureaux.
Confort sonore
Cette Maison des compagnies pourrait donc se muer en accélérateur de désir pour les compagnies de la région. Guilherme Botelho en est baba: pour la première fois en vingt-quatre ans, lui et ses danseurs disposeront de douches dans un local de travail. Dorian Rossel se réjouit de ne plus avoir à mendier un îlot où répéter. La ville de Genève avait beau promettre, rien ne se produisait, faute de terrains disponibles à un prix abordable. Meyrin y est parvenu, grâce à des fonds privés, avec l’appui de la municipalité.
On s’attarde un peu. Chaque fenêtre de cette manufacture est un tableau en soi, donnant sur un jardin luxuriant qu’on n’aurait pas soupçonné ici, entre la scierie d’en face et les Airbus au loin, comme si Claude Monnet était passé par là avec son arrosoir. Miracle: on entend à peine les avions. Christian Dupraz et son équipe ont veillé au confort sonore. C’est ce qui s’appelle changer la vie des artistes.