Il n’y avait pas plus citadine que Mistinguett qui a fait la joie des revues parisiennes des Années folles avec sa gouaille d’enfer et ses belles guibolles. Mais, le week-end dernier, à La Tuffière, à Corpataux, c’est la campagne fribourgeoise qui a craqué devant son franc-parler.

Lire aussi: «Mistinguett, c’était la Madonna de l’époque, rien ne lui résistait»

Et ce vendredi, le très rural Théâtre du Jorat s’apprête aussi à s’enflammer aux aventures de celle qui n’a pas hésité à devenir espionne durant la Première Guerre pour sauver «son» Maurice Chevalier. Jenny Lorant donne toute sa puissance vocale à cette Madonna des années 1920, tandis que Frank Michaux fascine dans le rôle de Jacques-Charles, producteur de revues survolté.

Force des voix, beauté des costumes

La force des voix, la qualité des chorégraphies, la beauté des costumes. Avec Mistinguett en haut de l’affiche, on est transporté dans le Paris des petites frappes et des grands coups, des faubourgs populaires qui divertissent les beaux quartiers et des vedettes qui traversent les tempêtes comme Mistinguett, quand d’autres, comme Fréhel ou La Goulue (Claudine Berthet), se grillent au feu de la célébrité.

Fréhel, justement, est spécialement touchante, car elle est folle de Maurice Chevalier, mais s’est tellement abîmée dans la cocaïne qu’elle a perdu son talent et son amant. Sous la direction de Fabrice Guillaume et de Gilles Guenat, Coline Fassbind émeut lorsqu’elle se jette au cou du chanteur au canotier interprété par Filipe Resende, qui signe aussi le livret.

Le spectacle de cette humiliation se déroule devant les yeux de La Louque, la mère de Maurice Chevalier à laquelle Mado Sierro prête sa finesse de jeu. Lorsque plus tard, La Louque chante la mort des garçons au champ de bataille, la comédienne donne à La mère du combattant, titre de Jouret et Mélage, des accents si sincères que la salle frémit en l’écoutant.

Paris et la France célébrés

Mais rares sont les moments sombres dans cette proposition qui swingue magnifiquement sous la direction musicale de Nadir Graa. Le plus souvent, les titres sont enlevés, bravaches, entraînants. Il y a bien sûr Ménilmontant, chanté par Maurice Chevalier lors de son entrée en piste, il y a aussi Je vous ai reconnu, véritable mise en jambes de Mistinguett pour lancer les revues. Dans la vie faut pas s’en faire, Paris, c’est une blonde ou Paris sera toujours Paris résonnent encore au rang des tubes les plus connus.

A noter que la capitale clinquante et la France libre sont régulièrement célébrées dans ce spectacle superbement costumé (Naomi Purro). Pas étonnant que des programmateurs parisiens présents à la salle de La Tuffière aient pris des options pour une tournée dans la capitale…

Jenny et Frank

D’autant que les parties chorégraphiées sont parfaites, elles aussi. Signées Gilles Guenat, Zoé Klopfenstein et Fabrice Martin et interprétées par ces deux derniers, accompagnés de Maria Busquets et Michael De Pina, les tangos, rocks acrobatiques et charlestons secoués séduisent par leur aisance et leur fluidité. Un brio qui permet d’effacer les petites maladresses d’une distribution généreuse, 25 personnes sur scène, dont une partie, le Choeur’Notzet, est constituée d’amatrices averties.

Mais bien sûr, si la soirée est si réussie, c’est grâce à la présence de Jenny Lorant dans le rôle de Mistinguett. Elle partage avec son modèle puissance sonore et détermination. La chanteuse fribourgeoise, qui est à l’origine du projet avec Fabrice Guillaume et Filipe Resende, dirige aussi une école de chant et de comédie musicale (ACMJL), formant des jeunes et des moins jeunes à cet art si complet. On sent son charisme dans cette comédie musicale bien trempée.

Et, enfin, coup de chapeau (qu’il porte très bien) à Frank Michaux. Son Jacques-Charles, producteur de revues, officie comme le Monsieur Loyal de la soirée. Virevoltant avec grâce, le comédien prête sa virtuosité et son incroyable énergie à ce personnage qui compte parmi ceux qui ont fait de Paris la Ville Lumière qu’elle est restée dans les imaginaires.


Mistinguett en haut de l’affiche, le 16 septembre, Théâtre du Jorat, Mézières. Les 14 et 15 janvier, Théâtre du Pré-aux-Moines, Cossonay