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A Nyon, les réfugiés dansent avec les artistes

Chaque jeudi matin depuis février, le far°-festival des arts vivants organise des ateliers menés par des artistes contemporains à destination des réfugiés. Reportage en situation, sous la direction de la chorégraphe Cindy Van Acker

 Cindy Van Acker et son atelier de danse à Nyon, le 2 juin 2016. — © photo eddy mottaz
 Cindy Van Acker et son atelier de danse à Nyon, le 2 juin 2016. — © photo eddy mottaz

Danser avec Cindy Van Acker! Pour tous les fans des propositions organiques et chamaniques de la chorégraphe belgeinstallée à Genève depuis les années nonante, l’expérience relève du privilège. Mais c’est aussi une douleur. Celle de découvrir à quel point il est difficile de mouvoir son corps dans la lenteur.

Cindy Van Acker travaille avec des amateurs? Non, pas vraiment. Ce matin de pluie, l’artiste s’est prêtée au jeu de l’atelier ouvert pour répondre à une proposition passionnante du far°-festival des arts vivants, à Nyon. Chaque jeudi, depuis février, un artiste de la région mène un workshop à destination des réfugiés qui sont arrivés en nombre lors de la vague d’immigration de l’automne dernier. L’idée? «Entrer en communication avec ces migrants autrement que par la parole et leur présenter notre idée de la création», répond Véronique Ferrero-Delacoste, directrice du far°.

Plus de barrières culturelles

Le résultat est éloquent. Face à la banane, un diabolique exercice au sol demandé par Cindy Van Acker, plus de barrières culturelle, ni géographique. Soudanais, Afghans, Irakien ou Européens, nous devenons tous des bouts de bois figés, incapables de tourner sur nous-mêmes en gardant la forme tantôt convexe, tantôt concave, du croissant. Cindy sourit. Elle montre ses appuis. Comment, elle, liane sur lino, parvient à maintenir l’incroyable arrondi. Ah bon, on a des muscles dans le dos? Hilarité. Et ténacité de notre coach qui s’obstine.

A tour de rôle, on tente et on retente la traversée. Et tant pis, si on finit contre les chaises rangées sur le côté, faute d’avoir une boussole intégrée. Danser à la manière de Cindy est plus qu’un métier, c’est une disposition d’esprit. Une sorte de connaissance intime de chaque muscle, chaque ligament, chaque pli. Et une intelligence du mouvement qui sait prescrire sans abrutir. C’est déjà beau à voir sur scène, mais encore plus subjuguant à vivre de près. Cindy, son petit gabarit, son visage d’enfant, ses mouvements si maîtrisés, si harmonieux, si lents…

«Travailler son imagination»

Chacun la regarde avec humilité. Même Ammar, Irakien de 21 ans, qui a plutôt le profil du blagueur. «J’aime ces ateliers, j’aime les gens et ce qu’ils m’enseignent.» Ammar a quitté Bagdad pour fuir des problèmes de famille. Son frère a été enlevé et il ne parle plus trop à sa mère. Il est arrivé en Suisse le 10 mars, attend un permis et, dans l’intervalle, occupe ses journées entre les rendez-vous avec les services sociaux et les cours de français. Cet atelier du jeudi est comme une respiration pour lui, l’occasion de «bouger son corps, travailler son imagination et parler le français».

© photo eddy mottaz
© photo eddy mottaz

Bouger son corps, on y revient. A présent, debout, bras à l’équerre, mais souples, on doit traverser la salle en se mouvant de bas en haut, sans à-coups. Dans la lenteur et la douceur. On sue, on rit, on continue d’adorer Cindy… Originaire du Soudan, Dafallah trouve un rythme, comme une ligne tracée. Les Afghans Najim et Sharif sont plus timides, mais aussi parfaitement concentrés. On est tous si maladroits que le lien entre nous est vite établi. Ils se souviennent : «Avec Marco Berettini, on a fait des diagonales, beaucoup, beaucoup de diagonales». La fameuse répétition obsessionnelle et minimaliste du facétieux chorégraphe à l’oeuvre dans «I feel 3», pièce vue récemment à l’adc, à Genève.

«Difficile et passionnant»

Parmi les vingt-cinq artistes qui ont accepté de mener cet atelier gracieusement, certains transmettent leurs fondamentaux, d’autres sortent de leurs rails. Le metteur en scène Guillaume Béguin a proposé à chaque participant d’incarner «un animal âgé qui a un regret». «Chacun, dans sa langue, devait expliquer son regret. Guillaume filmait nos mains. Ensuite, on a tous appris la chorégraphie des mains de Dafallah et collé sur cette gestuelle un discours politique qui n’avait rien à voir. C’était difficile et passionnant», se souvient Véronique Ferrero-Delacoste qui assiste à tous les ateliers avec ses collaborateurs du far°.

Lorsqu’on demande à Sharif et Najib d’évoquer les workshops déjà écoulés, ils sortent leur smartphone et montrent des photos. On y voit des dessins placardés dans un espace d’affichage municipal. Quand on regarde de près, on réalise que les dessins sont des textes écrits en arabe ou en dari, la langue de leur pays. «On a dû écrire ce qu’on aimait et ce qu’on n’aimait pas», expliquent les deux jeunes Afghans de 21 et 25 ans, chauffeur de taxi et tailleur. «Certains ont parlé de paix dans le monde, d’autres ont dit qu’ils aimeraient être avec leur fiancée sur un nuage.» Le résultat, orchestré par la plasticienne Lucy Schaeren, émeut par sa sincérité.

«Un peu de leur histoire sur scène»

Andrea Marioni a fait slamer les réfugiés, Zoe Cadotsch les a invités à dessiner une fresque de 8 mètres de long où chacun reprenait le tracé du précédent. La Ribot leur a demandé de se regarder dans les yeux, longtemps, puis d’évoquer leur maman. Est-ce que certains artistes locaux se sont inspirés des cultures des migrants? «Oui, Aurélien Patouillard a souhaité entendre la musique de leur I-Pod et Mickaël Phelippeau les a conviés à nous enseigner des pas de danse. On a aussi appris des chansons d’Erythrée», se remémore la directrice du far°.

Le rendez-vous hebdomadaire, intense, est ouvert aux migrants et à à tous les habitants de Nyon jusqu’à fin juillet. Jeudi dernier, un comédien français récemment arrivé dans la région y assistait. Mais ce n’est pas tout. Pour trois de ces réfugiés, l’aventure va continuer de manière professionnelle, cet été. Les jeunes Afghans Najib et Sharif, déjà évoqués plus haut, ainsi que le Kurde Irakien Jutyar Ali figurent au sommaire de deux spectacles créés pour la 32e édition du far°-festival des arts vivants. «Lorsqu’ils ont accepté de travailler avec Mickaël Phelippeau et Laurent Pichaud, j’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma direction», sourit Véronique Ferrero Delacoste. «Tout est tellement fragile, pour eux. Tellement incertain. Accepter de se projeter dans l’avenir et d’amener un peu de leur histoire sur scène est un immense cadeau!»

Les ateliers du jeudi , les jeudis jusqu’à fin juillet, de 10h à 12h, Salle des expositions, 5, rue des Marchandises, Nyon,www.festival-far.ch