Opérette superbement désaccordée au Crève-Cœur
Spectacle
La compagnie neuchâteloise Comiqu’Opéra présente sur la petite scène genevoise «Encore une fois», pièce qui met à nu avec brio les ressorts du mélo. Une rasade de gaieté à déguster jusqu’au 18 octobre

Monsieur se meurt en chantant, comme c’est beau! Madame se pâme, on en brame de plaisir! Les domestiques se fanent, tant pis pour eux. La cantatrice est peut-être chauve, tiens. Et la ruche du Crève-Cœur tonne comme une salle de rock.
Le spectacle le plus enlevé, le plus malin de la rentrée se joue à Cologny (GE). Six interprètes toqués chassent la morosité, le temps d’Encore une fois, divertissement bien ficelé, offert jusqu’au 18 octobre par la compagnie neuchâteloise Comiqu’Opéra – celle-là même qui a signé Figaroh! en 2014. A la mise en scène, Robert Sandoz, directeur du futur Théâtre du Jura, soigne ses entourloupes comico-lyriques. Sous le masque, on est tout chose.
Qu’est-ce qui fait la réussite d’Encore une fois? L’exploration jouissive d’un double langage, celui de l’opérette et celui de la télévision, celui de personnages ô combien stéréotypés et celui des acteurs, qui prétendent dire vrai et mentent, peut-être eux aussi, comme ils respirent. Vous avez à peine pris place qu’un bonimenteur cathodique présente la soirée, une retransmission en direct de la 5000e représentation de l’opérette Le Présent. La pièce, diffusée depuis l’Opéra du Trébuchet, au fin fond de la province, est plutôt bas de gamme, s’excuse le Monsieur Loyal de la partie, mais quel phénomène, mes amis!
Quiproquo croquant
Au piano, Florent Lattuga a des doigts revolvers. «Tournicoti, tournicoton, tschitt, tschitt, tschitt…» Les comédiens-chanteurs entrent dans la lice du mélo à l’instant, en rang d’oignons et en fredonnant la mélodie de la farce. Voyez Gérald de Mérieux (le baryton Davide Autieri), son foulard de châtelain, sa moustache assortie, c’est le patron vieille France d’une usine. Voyez encore son épouse Sylviane (la soprano Julie Cavalli), chignon hautain de duchesse, mais aussi Dominique, une cigale de soubrette (la mezzo-soprano Leana Durney) et Dominique bis, son mari de majordome (Julien Héteau). L’intrus de l’affaire? Un prolo, Simon, syndicaliste ailé comme l’amant de Lady Chatterley (le baryton Rémi Ortega).
Le quiproquo est aussi classique que savoureux. Monsieur de Mérieux entend remettre sa fabrique de cigares à Simon, l’ennemi de classe, histoire d’échapper à la justice. N’a-t-il pas fraudé le fisc? Et ne risque-t-il pas le déshonneur? Dans la bouche de l’impayable Davide Autieri brûlent ces mots qui sont un élixir aphrodisiaque: «Vous pouvez la prendre, elle est à vous.» L’ouvrier comprend qu’il lui cède son épouse. Le notable insiste: «N’hésitez pas. Une telle occasion ne se présente pas deux fois.»
Délice du cliché
Tout cela serait seulement croquignolesque si Leana Durney, Davide Autieri – qui ont eu l’idée du spectacle – et Robert Sandoz n’en profitaient pas pour proposer une ethnologie pour rire du milieu. Le premier acte fini, le public est invité dans les coulisses, où les artistes répondent aux questions pénétrantes du Nikos Aliagas de l’histoire. Non, chanter en espagnol, japonais ou russe n’est pas un problème – s’ensuit une démonstration hilarante. Oui, la passion est, bien entendu, le moteur principal. Délice du cliché, ceux qui habillent le vide au quotidien.
La réussite de cette création tient à son écriture, à ces changements de plan narratif maîtrisé, du mélo d’opérette au trémolo de la téléréalité. Avec à chaque fois, au sein de la parodie, une césure où tremble une vérité personnelle. Ecoutez la formidable Julie Cavalli. La chanteuse neuchâteloise délaisse le postiche de la baronne pour distiller, sur le grand air de la Castafiore, celui du Faust de Gounod, un peu de son histoire.
Joie du double jeu. Encore une fois met à nu les ressorts de nos romances, sans s’en moquer; il détourne des tubes lyriques pour en respirer à pleins poumons le parfum. Les timbrés de Comiqu’Opéra dérident et élèvent à la fois. Ils transmettent la flamme, sans une once de vanité. Rien que pour ça, on les embrasserait.
Encore une fois, Cologny (GE), Théâtre du Crève-Cœur, jusqu’au 18 oct.; rens. https://lecrevecoeur.ch/