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Le sujet est dramatique, mais le traitement ne l’est pas. Déjà, parce que la parole incisive de Falk Richter recèle des trésors d’humour noir. Sa manière, par exemple, de présenter la famille de Brad, ce pilote texan dont le clan, emmené par la fabuleuse et plantureuse Marge (Charlotte Piguet-Wernli), pique-nique au bord de la piscine pendant que leur héros de mari et de père accomplit son devoir militaire. Repus de naïveté, Marge et ses trois enfants nagent dans un quotidien édulcoré, très loin des sursauts du monde.
Et si la guerre s’abattait sur nous?
Sauf que Richter est un peu sadique. Subitement, il plonge ces fans d’une émission de téléréalité à la gloire de l’US Army dans un état de panique. Une sirène hurlante les force à courir remplir leurs caddies en prévision de la pénurie. Et si la tragédie si lointaine s’abattait subitement sur nos contrées? questionne le dramaturge allemand. Et si le carnage du désert devenait notre réalité? tacle-t-il. En parallèle, on entend justement la voix de ceux qui ont tout perdu. Cette jeune fille (Eleonora Wuarin) qui a vu son village se désagréger sous ses yeux et qui, tétanisée, peine à témoigner.
On entend des récits et des paroles hachées, mais on voit surtout, et dès la scène initiale, des corps secoués. La compagnie Acrylique a toujours eu ce talent de chorégraphier des foules affolées. Alignés au fond de la salle, les jeunes s’avancent vers le public. Chacun sa silhouette, chacun son style. Ils marchent, s’arrêtent à deux pas des spectateurs qu’ils fixent, repartent. Ensuite, lorsqu’ils reviennent, une main s’agite, une tête se tourne, des épaules s’affaissent. Le grain de sable grippe la machine. Enfin, les corps se heurtent, se mêlent, se reconnaissent ou se défient, se retrouvent pour se séparer à nouveau, et, sur des musiques de cathédrale, c’est le bal de la solitude contemporaine qui se raconte fortissimo.
Gym à la télé
Plus tard, on rit avec une parodie de gymnastique télévisée. Et encore plus tard, on est ému par un solo de danse d’une fille légère comme une plume (Annaïk Juan-Torres) qui amène sa délicatesse dans cette satire musclée. Le chant aussi joue son rôle. Soli (Nicolas Koch, Morgane Haldi) et tutti reprennent l’absurde quête du bonheur dans un monde miné par la guerre.
Quant au texte, l’enchaînement de monologues, procédé cher à Richter, va du désarroi du pilote téléguidé par ses supérieurs (Lucien Thévenoz) aux diatribes sécuritaires d’un président US déchaîné (Basile Campanelli). Un ange subtil veille aussi sur l’aventure (Luna Desmeules). Mais ce qui reste de la soirée, c’est le formidable élan collectif d’une troupe soudée et dont, même s’il est impossible de tous les citer, on salue chacun pour la qualité de ses talents et de son investissement.
Sept secondes (in God we trust), jusqu’au 12 mai, La Parfumerie, Genève.