Platon, le théoricien du mythe de la caverne, sous les projecteurs. Pourquoi est-ce si euphorisant? José Lillo, qui n’en est pas à son premier essai philosophique – Gorgias au Poche de Genève en 2013 – projette Socrate et ses contradicteurs sur des tréteaux universitaires. Sur scène, un présentateur exquis de modestie – Felipe Castro – annonce le thème de la soirée: «Philosophie/Politique/Citoyenneté», écrits en grosses lettres sur un écran. Pas très dionysiaque a priori. Sauf que comme souvent chez José Lillo, ce sont les comédiens et comédiennes qui subliment une proposition austère en tranchées lumineuses.
Socrate, le pugiliste
Car ils ont de l’allure, ces rhéteurs. Et des idées sur tout. Voyez le prélude. Felipe Castro installe ses invités. A sa droite, Guillaume Chenevièreen personne promène sur l’assistance son regard perçant de devin bienveillant. Mais voici que l’ancien directeur de la TSR – comme on disait à l’époque – se voit sommé d’éclairer la psyché des vieillards. C’est un Socrate barbu au long corps sec – José Lillo –, assis par le plus grand des hasards à côté de l’auteur de ces lignes, qui l’apostrophe. La vieillesse serait un naufrage bordé d’amertume. Baliverne, balaie l’impayable Guillaume Chenevière en invoquant Sophocle.
C’est un round d’observation. L’annonce que la bile n’aura pas droit de cité dans le combat qui vient. Socrate a son plan secret. Philosophe fantôme par définition, il est joué successivement par José Lillo, l’intrépide François-Xavier Fernandez-Cavada et, divine surprise, par Charlotte Filou et Mariama Sylla, tous les quatre planqués au milieu de la foule des spectateurs. Comment mieux dire qu’il appartient à chacun? Et que son esprit, sa façon de monter, marche après marche, vers l’apothéose de son raisonnement, est contagieux? Le propos est grave. Il s’agit de distinguer la connaissance de l’opinion, le philosophe du sophiste, le forgeron de la pensée du touche-à-tout de l’actualité.
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L’enjeu de ce montage? La définition d’un système politique où régneraient et le respect des plus fragiles et une modération. A bas la timocratie, ce régime qui favorise ceux qu’anime l’avidité! Et vive la démocratie, celle où les femmes, mais oui, peuvent prétendre aux mêmes droits que les hommes. Platon est un scénariste qui ménage ses effets et ses surprises. Il orchestre sa démonstration comme un stratège la prise d’une citadelle. A côté de Felipe Castro, des roublards – les très savoureux Christian Gregori, Hélène Hudovernik et Jean-Alexandre Blanchet – tentent de faire barrage à cet impudent de Socrate. Ils capituleront.
Platon au secours de la démocratie
Eloquence du corps. Tout est là dans ce choc des intellects. La pensée est un sport, soufflent José Lillo et sa bande. C’est ce muscle-là qui passe dans les travées. «Dans une période où le débat est polarisé, où les positions sont caricaturées, où l’adversaire est piétiné, où les réseaux sociaux sont des fosses aux lions, j’ai voulu rappeler la leçon de Platon, sa science du débat», raconte le metteur en scène.
Cette noblesse de la dispute, il l’avait conçue initialement pour le Grand Conseil. Il imaginait deux semaines de représentation en bordure d’hémicycle. Cela ne pourra se faire qu’une fois, le dimanche 30 octobre. Peu importe: il a trouvé dans la salle Pitoëff une agora qui bout. Platon mobilise et remet d’aplomb. Vive La République.
La République, Genève, Théâtre Pitoëff, jusqu’au 23 oct.; rens. Pitoeff.goshow.ch