De retour à Neuchâtel, le chorégraphe Pablo Girolami en quête d'instincts naturels
Portrait
AbonnéLe jeune chorégraphe d’origine neuchâteloise réinterprète les parades nuptiales avec sa pièce intitulée «Manbuhsona»

Corps élancé, longs cheveux blonds qui se déroulent en cascade, regard rieur. L’enthousiasme débordant à l’évocation de ses projets pourrait faire penser à de la candeur, mais le ton enjoué traduit des propos d’une grande maturité. Du haut de ses 29 ans, Pablo Girolami a déjà foulé nombre de scènes aux quatre coins du monde. A priori, rien ne le prédestinait à la danse, si ce n’est, comme il le dit dans un éclat de rire, un sens inné du rythme certainement hérité de ses origines latines.
Après une carrière de danseur soliste dans de grandes compagnies européennes, Pablo Girolami est aujourd’hui à la tête d’Ivona, une association d’une dizaine de danseurs, lauréate de plusieurs prix et qui écume les scènes du Vieux-Continent avec six productions en parallèle. Avec Mambuhsona, elle se produira ce dimanche 7 mai au Théâtre du Passage à Neuchâtel. Un retour aux sources pour le chorégraphe dont l’œuvre se veut justement une quête des origines et des instincts naturels.
Au hasard d’un concours
C’est au Landeron, à l’est du canton de Neuchâtel, que Pablo Girolami a grandi. Né d’un père italien et d’une mère espagnole, il est entouré de deux sœurs. C’est l’une d’elles qui lui fera découvrir cette passion cachée. «Elle faisait partie d’une équipe de filles qui participait au Dance Contest, un concours intercollège. Elles cherchaient quelques garçons pour les accompagner. Je me suis laissé embarquer et nous avons terminé deuxièmes.» Parmi les membres du jury, une chorégraphe et professeure de danse, Melinda Stampfli, les repère et les invite à suivre un cours au sein de son académie. Une révélation pour Pablo Girolami. Il a alors 12 ans. Il s’investit à corps perdu et s’inscrit en filière sport-art-études à l’âge de 14 ans.
Mon père m’a toujours dit qu’il me soutiendrait quoi que je fasse, pour autant que j’aie un projet clair.
Il n’en démord pas, il fera de la danse son métier. Une décision acceptée par ses parents. «Mon père m’a toujours dit qu’il me soutiendrait quoi que je fasse, pour autant que j’aie un projet clair. Je lui ai fourni les documents sur le CFC de danseur interprète de la Tanz Akademie de Zurich et c’est lui qui m’a accompagné pour les auditions.»
Mais avant de rejoindre les bords de la Limmat, il doit encore se perfectionner pour atteindre le niveau requis. Il entame un apprentissage de commerce chez PwC. «Sur le moment, je ne voyais pas l’utilité de savoir faire des factures, mais c’est incroyable ce que ces quelques mois de formation me sont aujourd’hui utiles en tant que directeur artistique.» Persévérant, il enchaîne les heures d’entrechats pour décrocher le graal et être admis à la Tanz Akademie en 2010. Muni, de surcroît, d’une bourse du Prix de Lausanne qui lui finance sa première année.
De l'Allemagne à l'Italie, du classique au contemporain
«Initialement, je ne voulais pas suivre une filière classique, mais Melinda Stampfli m’y a incité. Elle permet d’être maître de son corps et ouvre ensuite toutes les portes. Comme le disait Picasso, il faut apprendre les règles comme un professionnel afin de pouvoir les briser comme un artiste.» L’académie se révèle un passage difficile, aussi bien physiquement que mentalement. «On demande une discipline extrême à des jeunes de 15 à 18 ans, c’est rude. On se réveille parfois avec le corps endolori, un manque d’envie, mais il faut tenir bon.»
En 2014, diplôme en poche, il obtient un contrat de soliste au Hessisches Staatsballett à Wiesbaden, il y passe quatre ans, avant de rejoindre le Spellbound Contemporary Ballet à Rome. «Alors que j’étais en Allemagne, j’avais déjà créé quelques pièces, mais le temps me manquait.» En 2019, il franchit le cap, abandonne son rôle d’interprète pour donner vie à Ivona. «Cette compagnie, c’est un peu mon alter ego créatif, une entité qui ne se prend pas au sérieux. J’avais un urgent besoin de m’exprimer au travers de la danse autrement qu’en interprétant les œuvres des autres.»
Installé dans le nord de l’Italie, il démarre avec un duo, Manbuhsa. Il obtient le statut d’artiste associé au Centre national de production de la danse à Milan, Dancehaus Più, et grâce à un prix, le duo se transforme en troupe de cinq danseurs, Manbuhsona. «Nous avons démarré les représentations en 2020, notre agenda était bien rempli, nous commencions à être reconnus sur la scène nationale et internationale, mais la pandémie nous a stoppés net.»
Un retour à la maison
La troupe se maintient comme elle peut, à distance, profite des ouvertures pour se produire dans des festivals et peaufine son spectacle. «Manbuhsona est une double dramaturgie. Le langage chorégraphique de la pièce est inspiré par la nature, en particulier les parades nuptiales des animaux. Nous nous en nourrissons pour les traduire avec nos corps, mais en ne tombant jamais dans l’imitation. Nous nous transformons en quelque sorte en chimères afin d’emmener le public dans un voyage dans le temps et dans l’espace.»
Après avoir présenté le spectacle en Italie et en Allemagne, et avant de partir pour l’Espagne, cette escale neuchâteloise sonne, pour Pablo Girolami, comme un retour à la maison. «C’est au Théâtre du Passage que j’ai dansé pour la première fois sur scène, la pièce est produite par Les Amis du MDC et nous l’avons finalisée en résidence à Neuchâtel. Il y aura une grosse charge émotionnelle dimanche.»
Manbuhsona, Théâtre du Passage, Neuchâtel, dimanche 7 mai, 20h
Profil
1994 Naissance à Neuchâtel le 22 avril.
2010 Gagne la bourse du Tremplin danse organisé par le Prix de Lausanne et offerte par la fondation Leenaards.
2014 Première en tant que danseur professionnel avec le Hessisches Staatsballett.
2020 Première de «Manbuhsona», sa première «grande» production en tant que chorégraphe au Teatro Giuseppe Verdi de Gorizia.
2022 Remporte le concours chorégraphique international de Jérusalem avec le duo T.R.I.P.O.F.O.B.I.A.