Richard Vachoux était étranger à toutes les modes, les dandys sont ainsi. Et il était une époque à lui tout seul. L’acteur et metteur en scène genevois s’est éteint à 80 ans. Sa vie était au théâtre, où qu’il soit, dans les jardins de son enfance – son père était architecte paysagiste –, dans les greniers de son adolescence au Collège Calvin, dans le creuset du Nouveau Théâtre de Poche, qu’il dirige dès 1962, ou encore à la Comédie de Genève, dont il est le directeur entre 1974 et 1982. Sa foi était aux poètes, Paul Claudel et ses vaisseaux cosmiques, Cioran et ses morsures, Eugène Ionesco et ses cantatrices déplumées, Charles Baudelaire, plus haut que tous.

Qui était-il, théâtralement? Un acteur à l’élégance et au verbe aussi intenses qu’onctueux. Un interprète virtuose aussi, davantage porté à magnifier le verbe qu’à incarner un personnage. C’était sa marque à lui, en un temps où les fronts, gauche contre droite, étaient exacerbés. Un jour, au début des années 1950, le grand critique Marcel Raymond, professeur à l’Université de Genève, lui demande de lire un poème. Après la lecture, il lui dit: «Etes-vous conscient de la façon dont vous avez lu?» «Non, Maître», répond le jeune homme. «Alors, vous ferez du théâtre.» C’est la scène fondatrice, d’où tout procédera.

La Genève théâtrale vit alors dans le souvenir de Georges et Ludmilla Pitoëff, ces artistes russes qui ont légué à leur ville d’adoption un idéal de jeu. Davantage que la Comédie, qui fabrique des spectacles à la chaîne, c’est cet héritage qui captive une génération d’ardents, où se distinguent François Simon, Philippe Mentha, Corinne Coderey et Richard Vachoux. Ce dernier suit l’enseignement de Greta Prozor – femme de caractère qui a formé des générations d’acteurs. Son héros s’appelle Jean-Louis Barrault. A 30 ans, il réalise un premier rêve: posséder son théâtre – le Nouveau Théâtre de Poche.

Un patron de théâtre

Sa ligne est orgueilleuse. Elle le porte vers des auteurs contemporains, Audiberti, René de Obaldia, Dürrenmatt, Ionesco, entre autres. Mais aussi vers Alfred de Musset et son On ne badine pas avec l’amour – l’une de ses pièces fétiches. Richard Vachoux donne à la Vieille-Ville un air de fronde, la lumière d’une révolte intérieure. Il favorise une bande de jeunes comédiens, dont Corinne Coderey, Monique Mani et Gérard Carrat; et il invite André Steiger à monter Shakespeare et Molière.

Chef de troupe, il voudrait l’être encore à la Comédie, dont il prend la direction en 1974. Il a des audaces qui lui coûteront cher: il se sépare des fameux Galas Karsenty-Herbert, tourneur parisien qui accaparait la scène du boulevard des Philosophes; il privilégie des productions romandes, de jeunes metteurs en scène comme Claude Stratz, et des artistes français qui lui sont chers, Jean-Louis Barrault et Marcel Maréchal. Le public ne suit pas, le nombre d’abonnements chute, malgré quelques productions remarquables.

Cocteau à l’église

Contesté, Richard Vachoux cède son fauteuil à Benno Besson en 1982. Est-ce son amour des roses? Il élit domicile – artistiquement – à l’Orangerie, petit palais de verre décati, avec vue sur le lac, au parc La Grange. Quand vient l’été, il dit Verlaine, Milosz, Mallarmé et fait l’éloge, ainsi, de ceux qui peuplent ses vies intérieures. Il enseigne aussi à l’Ecole supérieure d’art dramatique de Genève – dont il est l’un des fondateurs. Richard Vachoux était de la famille des poètes, il les honorait en pudique qui a fait de l’ironie un masque.

A l’été 2011, pour l’un de ses derniers spectacles, il loge des écrivains fâchés avec l’ordre à l’église de Choulex, dans la campagne genevoise. Cocteau, Péguy passent en alouettes ébouriffées dans la nef. Souvent, Richard Vachoux a dit L’Etranger de Baudelaire. Dans sa bouche, chaque verset était une offrande, jusqu’à ce ciel: «J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages!»