Ils sont cinq. Comme les Mousquetaires. D’accord, les Mousquetaires sont quatre avec d’Artagnan. Mais le Raoul Collectif présente ce même mélange de soif de justice et d’humour élégant. Et, à l’image des héros d’Alexandre Dumas, les Belges situationnistes bénéficient d’un immense capital de sympathie. Après «Le Signal du Promeneur», créé en 2011, «Rumeur et petits jours» sillonne toute la Francophonie – le spectacle était au programme In du Festival d’Avignon l’été dernier — et provoque partout le même engouement. C’est que cette dernière salve est sidérante d’intelligence et de drôlerie. Elle débute par une émission de radio digne des années septante et se termine sur un rituel mexicain d’apaisement. Entre deux?

La rencontre avec le son du soleil, attention les oreilles, le loup à crinière, espèce animale menacée, et la blonde Tina, incarnation d’une idée. Tina, pour «There is no alternative», fameux slogan capitaliste édicté par Margaret Thatcher et considéré par les altermondialistes comme un pouvoir totalitaire. «Rumeur et petits jours» sera demain, mardi 29 novembre, au Forum Meyrin, près de Genève, et jeudi 1er décembre au Théâtre Palace, à Bienne. Courez-y!

Clopes et col roulé, les années septante, pour commencer

Ils sont jeunes, ils sont beaux et lorsqu’ils s’assoient à la table des opérations pour entamer leur (fausse) émission radio, on a déjà envie de prendre une photo. Sans doute parce que cette entame joue sur un cliché vintage. Micros, clopes, néons, générique jazzy, pull coll roulé et chemise cravatée: les années septante sont là, avec leurs fourmis dans les jambes, leur envie de renverser le conformisme suranné. Et, en même temps, c’est la radio de grand-papa. Stylée, posée. Qui détache tous les mots, prend le temps de déplier ses idées. Une radio où une lettre de lectrice est lue comme une prière à méditer. Pas d’erreur, on vient de pénétrer dans le temple de la parole sacrée. Celle qu’on donne et qu’on ne retire pas. Un souci du verbe que le collectif belge né en 2009 associe à un vrai sens de la légèreté.

Nos amies, les bêtes

Car les drôles n’ont pas la contestation morose. Ils ont compris qu’une idée, celle du capitalisme dominant, ne se tue pas, mais «se déconstruit». Ainsi, aucune dénonciation frontale dans «Rumeur et petits jours», mais une balade surréaliste au pays de la pensée et de la poésie. L’histoire d’un pré, tout d’abord, avec une vache et un cheval qui broutent, mais ne communiquent pas. Saine cohabitation ou morbide indifférence? «Le problème n’est pas là, éructe Claude, le plus rouge de la bande. Le problème, c’est le propriétaire: que cherche-t-il à travers cette cohabitation forcée?» Avec Robert (Romain David), qui cultive la même colère, Claude (Jérôme de Falloise) est le garant du non-alignement. Il voit de l’asservissement partout et fait hurler de rire le public avec ses airs de Luchini courroucé.

A côté de Robert, il y a Jacques (Jean-Baptiste Szézot). Lui, c’est le rêveur, le grand escogriffe pacifique. L’amoureux des bêtes qui, après la vache et le cheval, défendra les espèces menacées. Sa douceur fait mouche. Et puis, le d’Artagnan de l’équipée, Jean-Michel, l’animateur-radio nuancé, futur social-traître qui prendra les traits de Tina, plus tard dans la soirée. Enfin, il y a Jules, alias David Murgia, qu’on connaît déjà. Car, en février dernier, le comédien belge est venu secouer le public biennois avec «Discours à la nation», pamphlet malin qui prenait le parti des plus forts pour mieux les démasquer. Impossible d’oublier une telle virtuosité et un sens de l’apostrophe aussi musclé!

Le Mexique, terre d’inspiration

Ces cinq garçons dans le vent ont du collectif une vision radicale: dans le Raoul, personne ne dirige personne, tout le monde dirige tout le monde. Ils imaginent, écrivent et répètent à cinq. De même, ils passent du temps ensemble, marchent, voyagent, «car on cherche à déplacer notre point de vue, à voir les choses autrement», explique David Murgia. Pour «Rumeur», les Mousquetaires sont partis loin. Au Mexique, dans la Sierra Madre, à la rencontre des Huitchols, derniers adorateurs du peyotl qui auraient, dit-on, conservé des traditions d’apaisement pratiquées par les Aztèques. Pourquoi un périple si lointain? «Pour remettre en question une façon de voir le monde propre à l’Occident», répondent-ils en chœur. Le résultat est masqué, musical, beau comme un rêve et fascinant comme une invitation à une autre dimension. Celle du temps, du rire et de la solidarité retrouvés.


Rumeur et petits jours, mardi 29 nov., Forum Meyrin, Genève, 022 989 34 34, www.forumeyrin.ch; jeudi 1er déc., Théâtre du Palace, Bienne, www.spectaclesfrançais.ch