Roland Deville, maître du mirage théâtral
Hommage
L’artiste franco-suisse a marqué des générations à travers quelque 400 décors, en Suisse romande principalement. Il s’est éteint à 83 ans

Il avait la nostalgie de l’avenir. C’était son expression. Sa devise. Sa façon de ne jamais se retourner sur ses pas. Roland Deville s’est éteint un 1er août, à 83 ans. Jusqu’au bout, il a rêvé de la scène comme d’un terrain de jeu, raconte son fils Blaise Deville. Il était l’homme-décor du théâtre romand, au service de ses amis metteurs en scène, André Steiger, Hervé Loichemol, Jean-Louis Hourdin, Simone Audemars ces dernières années.
Roland Deville était le grand architecte de nos nuits de fiction. Son art? Une ingéniosité qui lui permettait de suggérer un palais sur une scène aux allures de chapelle. Une inventivité qui le faisait exceller, comme costumier ou décorateur, dans tous les genres, à l’opéra comme au cinéma – pour le cinéaste et romancier José Giovanni.
La poigne d’un aventurier
Combien d’écrins imaginés par ses soins en un demi-siècle d’illuminations graphiques, en Alsace d’abord dans les années 1960, en Suisse romande à partir des années 1970? Quatre cents peut-être. Roland Deville ne comptait pas. Il ne gardait aucune trace de ses œuvres, confie son fils. Il aimait user ses mines chez lui, dans une pièce atelier, parce qu’il ne pouvait pas travailler sans sa famille à proximité. Son épouse était son premier juge d’ailleurs: c’est elle qui avait la primeur de ses inventions, comme il l’a raconté à Patrick Ferla dans un film de la série Plans Fixes.
Roland Deville promenait ces dernières années une bonhomie de chanoine. C’était un trompe-l’œil qui dissimulait des blessures anciennes. Une enfance pauvre pendant la guerre, dans les faubourgs de Paris. L’envie de tracer sa voie à tout prix qui le conduit à s’associer à des bandes d’aventuriers. Deux séjours brefs en prison suivent, confie-t-il à Patrick Ferla. A 20 ans, il est envoyé en Algérie, dans l’armée française. Des camarades sont fauchés sous ses yeux.
Le théâtre est une planche de salut comme une autre. De retour en métropole, il se retrouve à Strasbourg, où rayonne la Comédie de l’Est. Il a peu lu, ne dessine pas, ne connaît rien à la scène. Il va se prendre de passion pour les machineries, les trappes, les étoffes qui font de Molière un frère d’échauffourées vespérales.
Le ballet des formes
On l’imagine bourru, obstiné, anar charmeur à la façon de Léo Ferré, avide de pensées détonantes. Il trouve un maître et un ami en la personne d’André Steiger. C’est ce dernier qui l’ancre à Genève. Désormais, sa signature honorera toutes les enseignes romandes, Vidy, la Comédie, le Théâtre de Carouge, etc. Son moteur? L’impatience d’un nouveau mirage, d’une fable qui emporte, d’un ballet de formes qui libère une émotion.
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Dans son atelier, la télévision était toujours allumée, c'était une source d'inspiration, se souvient Blaise Deville. Il aimait l’énergie du poste, les chevauchées des paladins de la petite reine pendant le Tour de France, les mêlées du rugby, les romances de trois sous.
Quand Patrick Ferla lui demande quelles étaient ses aspirations à la sortie d’une jeunesse chamboulée, il répondait: «Etre moi.» Il l’a été avec l’humilité des insatiables, porté par la nostalgie de l’avenir. Vite, encore une histoire, camarade!