Humour
La jeune comédienne romande signe «Oasis», son premier solo comique. Ce week-end et le prochain, elle se produit à Sion après Genève où elle a fait un carton. Présentation

Un coup de soleil. Un concentré de vie. Une eau fraîche qui pétille. Safi Martin Yé, 28 ans de métissage entre la Suisse et l’Afrique, est tout cela depuis six ans qu’elle éclabousse de son entrain les plateaux romands. Mais elle l’est d’autant plus, ces jours, avec la création d’«Oasis», son premier spectacle d’humour.
La semaine dernière, la panthère a fait hurler de rire la petite salle genevoise du Saltimbanque sous les traits de Sophia Blues, un personnage XXL qui ne craint aucun excès. Le thème de ce grand-huit écrit avec Marjorie Guillot? La rupture amoureuse, forcément, et la reconstruction à travers une méthode-clé. Ce week-end et le week-end prochain, Sophia-Safi est au Teatro comico, à Sion, et là aussi, c’est sûr, les murs vont trembler.
L’humour est une arme
L’humour. C’est un sésame, une arme. Qui fait s’esclaffer les adolescents et stresser les puissants. Le rire est le propre de l’homme, mais tous les rires n’ont pas le même profil. Dès mercredi 27 avril, Genève accueille son troisième Festival du rire où, comme à Morges et à Montreux, s’illustrent surtout les as du stand up (Frédéric Récrosio, Thomas Wiesel, Karim Slama, etc). Un humour aussi acéré qu’une lame d’acier et qui tient beaucoup à la parole aiguisée. Le corps est peu ou pas engagé.
Formée à l’Ecole Serge Martin, à Genève, Safi Martin Yé préfère un comique de personnage embarqué dans une fiction assumée. Certes il y a du Safi dans Sophia, mais la tigresse éplorée après le départ de son Achille chéri est mille fois plus déjantée et ingérable que la jeune femme réfléchie qui, côté ville, savoure avec distinction une tarte au citron. «Pourquoi ce solo d’humour? Parce que j’ai toujours fait le clown! Petite, je n’étais pas très scolaire, j’ai toujours chanté, dansé et fait rire la galerie. Après cinq ans de théâtre conventionnel, j’ai eu besoin de légèreté et d’un rapport direct au public. Vu l’accueil genevois, je suis plus que comblée!»
Une ambiance d’enfer
On peut en témoigner. Le thermomètre a furieusement grimpé à la première d’Oasis, mercredi dernier. Les spectateurs ont tapé des pieds, des mains, en ont redemandé. Ça fait quoi, un tel succès? «ça fait chaud au coeur, c’est intimidant aussi. Après, il faut être à la hauteur.» Safi peut se rassurer. Même si son personnage, qui danse, chante, médite, psalmodie, fait le chien et la girafe, est déjà énorme, on sent que la comédienne a encore des ressources inexploitées. Ce soir-là, la belle a même pu prouver ses talents d’improvisatrice: en raison d’une touffeur au zénith, une spectatrice a pris mal et a dû être évacuée. Sans perdre pied, ni ricaner sur le sort de la malheureuse, Safi a magnifiquement intégré l’épisode dans la logique de la soirée. Respect.
Le soleil se couche sur la terrasse genevoise. On croque une part de tarte au citron, on regarde la belle enfant, une tignasse à la Tina Turner, un œil charbon, malin, mais aussi profond, et on se pose la question: d’où vient ce talent? «Mes parents sont pour beaucoup dans ce que je suis. On l’a un peu oublié aujourd’hui, mais mon père, Paco Yé, a connu une grande renommée dans les années 1980 et 1990 en tant que soliste de djembé et danseur, dans un groupe qui s’appelait les Farafina.» Manière mesurée de présenter un musicien et danseur burkinabé que se sont disputés les Rolling Stones et Annie Lennox. Du coup, tout s’éclaire. Safi a grandi dans une certaine atmosphère…
Un père emporté par la tornade du showbizz
«ça oui, c’était la folie. Des dizaines de personnes passaient par jour et le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Parfois, on éteignait la lumière et on faisait les morts dans l’appartement pour éviter les visites! On se serait cru dans un film. Comme ma maman, Valaisanne, s’est aussi formée à la danse burkinabé qu’elle a ensuite enseignée, j’ai toujours vu mes parents danser et j’ai moi-même dansé dès que j’ai su marcher.»
Un conte de fée? Pas vraiment. Emporté par la tornade du showbizz, Paco Yé s’est brûlé les ailes. Il est mort en 2002, il avait 40 ans, Safi 15. Elle en parle tranquillement. «Mon père était chaleureux, excentrique, il pouvait s’habiller en croco, en léopard. Il nous appelait, ma sœur et moi, ses précieuses. Il nous aimait tellement! Mais je comprends que ma maman ait eu besoin de sortir de cette folie. Elle a quitté mon père quand j’avais 4 ans pour que je profite d’un environnement plus apaisant.» La famille vit alors encore quelque temps au Petit-Lancy, aux portes de Genève, avant de rejoindre le village de Chamoson, en Valais. «Là, en plus de ma mère qui est devenue art-thérapeute, j’ai eu la chance de grandir auprès de mon grand-père, vigneron et directeur de fanfare.»
Une forte personnalité qui, face aux manifestations de racisme ordinaire, enseigne à ses petites-filles une riposte sévère. «Mes cousines, à moitié papou, sont passées avant moi. Elles ont ouvert la voie et ont dû parfois se battre pour cela. Moi je n’ai pas de souvenir douloureux. J’ai même été la première tambouriste femme et noire du Valais! Dans la fanfare L’Avenir de Chamoson. J’avais 13 ans, ça marque!» Question racisme, la jeune femme reprocherait plutôt aux metteurs en scène de manquer d’imagination. «Je rêverais de jouer Antigone ou Martha dans «Qui a peur de Virginia Woolf». Mais, au cinéma surtout, on me propose souvent des rôles de Black, rigolote ou allumeuse…».
Saint-Maurice, l’enchantement
Il faut dire que le dernier rôle de cette trempe a spécialement bien réussi à Safi. Dans «Des siècles et des hommes», fresque historico-comique imaginée à Saint-Maurice l’été dernier par Cyril Kaiser pour célébrer les 1500 ans de l’Abbaye, Safi Martin Yé interprétait Marie-Ange, une groupie droit venue du Burkina Faso pour se joindre aux festivités. Avec Pierre-Isaïe Duc et Nicole Bachmann, Safi assurait les interludes légers avec un brio remarqué. «J’ai adoré jouer cette Marie-Ange et j’ai beaucoup appris sur ce saint dont on dit qu’il était africain!».
L’Afrique, pilier d’identité? «Oui. J’y suis allée tous les deux ans de 0 à 15 ans. Et j’y ai vécu six mois, à 10 ans. Je garde une vision joyeuse et colorée de ce continent. J’y ai appris à être libre, de corps et d’esprit.» Un héritage que Safi diffuse ici, avec une énergie qui rafraîchit.
Oasis, du 21 au 23, puis du 28 au 30 avril, Teatro Comico, Sion, 027 321 22 08, www.theatre-valais.com
Safi Martin Yé en six dates
1987 Le 5 septembre: naît à la maternité de Châtel-Saint-Denis. «J’aurais dû arriver dans une baignoire, mais finalement, j’ai atterri au sec!»
1995 Quitte Genève pour Chamoson où elle grandit avec sa mère et son grand-père vigneron
1997 Passe six mois au Burkina Faso, patrie de son père, le soliste de djembé Paco Yé
En 2007 Entre à l’Ecole de théâtre Serge Martin, à Genève, dont elle ressort diplômée en 2010
2011 Crée avec un collectif «Boudoir et Tête de cheval», un spectacle sur la condition de la femme en Iran
Eté 2015 Illumine de sa présence «Des siècles et des hommes», spectacle commémorant les 1500 ans de l’Abbaye de Saint-Maurice