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Sur la scène culturelle, les tandems prennent le pouvoir

A la tête de la Comédie de Genève, du festival Antigel, du Théâtre du Grütli, du Centre culturel suisse de Paris, les duos dament le pion aux ego. A l’ère du covoiturage, les codirections d’entreprises culturelles présentent des avantages insoupçonnés

Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer pilotent à quatre mains l’un des plus ambitieux chantiers culturels romands: ils inaugureront la nouvelle Comédie de Genève à la rentrée 2020. — © David Wagnières pour Le Temps
Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer pilotent à quatre mains l’un des plus ambitieux chantiers culturels romands: ils inaugureront la nouvelle Comédie de Genève à la rentrée 2020. — © David Wagnières pour Le Temps

Ce fut, l’air de rien, une journée historique. Mardi passé, la comédienne Natacha Koutchoumov et le metteur en scène Denis Maillefer dévoilaient une première saison cousue à quatre mains à la Comédie de Genève. Un tandem dans cette grande maison, c’était une nouveauté. Et un symbole.

Qui aurait imaginé à l’hiver 2017 que ces deux-là s’assiéraient dans le fauteuil directorial? L’enjeu est alors énorme: une nouvelle Comédie doit voir le jour en 2020 en face d’une gare sur un site appelé à devenir le cœur battant de la ville; il est prévu que le budget de l’institution double et passe à 15 millions. Les bookmakers parient sur une star, Olivier Py ou Milo Rau, ce Bernois dont le nom brille à Berlin, Bruxelles et Paris. Surprise: ce sont des outsiders qui coiffent les favoris au poteau. Pas des vedettes, mais un binôme, du jamais-vu à ce niveau de responsabilité en Suisse romande.

© David Wagnières pour Le Temps
© David Wagnières pour Le Temps

Ce pari a agi comme un déclic. Dans la foulée, la ville confie les clés du Théâtre du Grütli, place forte des artistes indépendants, non pas à un créateur mais à deux femmes rompues dans l’art de diffuser la création, Barbara Giongo et Nataly Sugnaux Hernandez. Le pas de deux se poursuit à l’automne. L’historienne de la danse Anne Davier succède à Claude Ratzé à la tête de l’Association pour la danse contemporaine. Dans le cockpit, la chorégraphe Cindy Van Acker, figure marquante de la scène suisse, l’accompagne, chargée notamment de la programmation. Hasard? Tendance à l’évidence.

Des couples inoxydables

Il se pourrait bien que le duo supplante l’ego, que le quatre-mains soit l’avenir du management culturel. Pas seulement une vogue, mais un mode de penser et de décider. A Genève encore, le musicien Eric Linder alias Polar confie qu’il n’aurait pas développé le festival Antigel comme il l’a fait depuis sa création en 2011 sans la présence à ses côtés de Thuy-San Dinh, codirectrice qui maîtrise tous les rouages de la sphère culturelle. Un couple dans la vie d’abord, séparé depuis, mais toujours superbement complice, souligne Eric Linder, aux commandes d’un rendez-vous qui fédère en hiver plus de 50 000 oiseaux de nuit, en quête d’expériences artistiques inédites.

© David Wagnières pour Le Temps
© David Wagnières pour Le Temps

Le succès de la formule se vérifie ailleurs. Au Théâtre des Osses à Givisiez, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier cosignent leurs créations et tiennent les rênes de la maison. Symbole de cette approche «made in Switzerland»: le Centre culturel suisse (CCS) de Paris. Historiens de l’art, le Valaisan Jean-Paul Felley et le Genevois Olivier Kaeser achèvent ces jours un mandat de dix ans à l’Hôtel Poussepin, dans le quartier du Marais. Ce binôme, qui a décidé de mettre fin à son histoire, a collectionné les biotopes singuliers pendant près de vingt-cinq ans, à Genève d’abord, à l’enseigne d’Attitudes, espace d’art contemporain, avant le CCS.

Mais pourquoi sacrifier la gratification narcissique du solo, cette ivresse plus ou moins discrète d’incarner une entreprise, voire un idéal? Une affaire de tempérament sans doute, de flair politique aussi. Et d’affinités électives. Natacha Koutchoumov n’aurait jamais franchi le Rubicon seule, avoue-t-elle.

«Un homme, une femme, c’est puissant»

«Nous avions l’habitude de nous retrouver, Denis Maillefer et moi, depuis que j’avais joué pour lui. Nous échangions sur le métier d’acteur, sur les moyens d’élever le niveau de jeu en Suisse romande et les possibilités qu’offre de ce point de vue une troupe. Le projet que nous avons déposé pour la Comédie procède de ces discussions: c’est une feuille de route pour atteindre l’excellence dans tous les domaines, de la programmation à la valorisation des talents locaux.»

Le duo peut aussi constituer en soi un argument de poids dans un concours, observe Denis Maillefer: «Parce qu’un tandem homme-femme, c’est puissant. C’est une vision du monde et des compétences enrichies. Symboliquement, on voulait montrer que le théâtre était une affaire collective.»

Aujourd’hui, un directeur doit additionner des compétences qu’il n’avait pas besoin d’avoir dans le passé

Sami Kanaan, maire de Genève et ministre municipal de la Culture

Du côté des édiles, on confirme l’intérêt de ce modèle d’attelage. «Aujourd’hui, un directeur doit additionner des compétences qu’il n’avait pas besoin d’avoir dans le passé, note Sami Kanaan, maire de Genève et ministre municipal de la Culture. Il doit à la fois être le dépositaire d’une vision artistique, exceller dans la recherche de fonds, plaider la cause de sa maison devant les politiques. Cela suppose d’être un superman. Le tandem est une réponse à ces défis. Mais il peut être fragile. Au cours des auditions, la Fondation d’art dramatique a testé la cohérence et la solidité du duo Natacha Koutchoumov-Denis Maillefer.»

Vécu de l’intérieur, le binôme pousse au dépassement, ce qui n’est pas la moindre de ses vertus, observe Anne Davier. «J’aime la notion d’entretien. Avec Cindy Van Acker, nous cherchons par notre dialogue à produire une pensée originale; des propositions naissent qui n’auraient pas existé sans cet échange. Comme dans une improvisation de jazz, nous devons nous décentrer.»

La loyauté absolue: une règle de base

Vécu de l’intérieur encore, le binôme augmente la force de frappe, note Barbara Giongo, qui prend ces jours possession de ses bureaux au Théâtre du Grütli. «Nous avons Nataly Sugnaux Hernandez et moi le même profil, mais pas le même réseau. Elle est plutôt tournée vers les arts plastiques et la performance, moi vers la scène, nous constituons ainsi un carnet d’adresses très complet. Pour la gestion d’équipe, le fait d’être deux nous offrira une soupape. En cas d’incompatibilité de caractère avec un membre de l’équipe, votre alter ego peut prendre le relais. Il est clair qu’on doit se montrer solidaire des décisions de l’autre.»

Car là réside l’un des dangers du modèle: un différend entre les têtes pensantes peut affaiblir l’autorité de la direction. «La loyauté entre nous doit être absolue, explique Natacha Koutchoumov. Nous avons des désaccords parfois, des discussions vives, mais on n’en fera jamais part devant l’équipe. On ne se dispute pas devant les enfants.»

Le duo est un garde-fou: il interdit la paresse et c’est le meilleur antidote qui soit contre la mégalomanie et l’abus de pouvoir.

Denis Maillefer, codirecteur de la Comédie de Genève

D’accord. Mais la gestion à deux de tout n’est-elle pas un frein à l’action? «C’est l’assurance au contraire que toute proposition est soumise à l’esprit critique, corrige Denis Maillefer. Quand j’ai une idée, je la soumets à Natacha qui peut la contester. Si elle est vraiment bonne, elle résiste, sinon tant pis. Le duo est un garde-fou: il interdit la paresse et c’est le meilleur antidote qui soit contre la mégalomanie et l’abus de pouvoir.»

C’est ce qu’on appellera la fonction autorégulante et régénératrice du tandem. Mais comment l’ego s’accommode-t-il du voisinage permanent d’un autre ego? «Ce n’est pas un problème, assure Natacha Koutchoumov. Nous sommes habitués au théâtre à faire des compromis, à nous effacer pour que le spectacle réussisse.»

«Pour que ça marche, il faut que les tâches soient clairement réparties, ajoute Denis Maillefer. Dans notre cas, chacun a son domaine, je m’occupe de la communication, du chantier, du budget; Natacha, elle, a pris en main les relations avec le monde politique, la recherche de fonds. Ensemble, nous définissons la ligne artistique. L’essentiel, c’est de communiquer, nous avons des plages dédiées deux à trois fois par semaine.»

© David Wagnières pour Le Temps
© David Wagnières pour Le Temps

La distance, une condition de réussite

Amitié, complicité, fraternité de combat: comment qualifier ce type de relation? Elle suppose de l’affection et de l’estime, c’est sûr. Mais dans le cas de Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, chacun a sa sphère privée. Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser ont passé près de trente ans dans les mêmes bureaux, mais ne sont jamais partis en vacances ensemble. Cette distance est sans doute l’une des conditions de la réussite de ce modèle. Les énergies sont tournées d’abord vers le projet.

On résume ici les avantages de la formule: des ego tempérés, une dialectique permanente, une forme d’ubiquité bienvenue quand il faut gérer un chantier de construction et une maison en pleine activité, comme dans le cas de la Comédie. Les tandems constituent une réponse au despotisme plus ou moins éclairé dont souffrent beaucoup de grosses institutions, où les burn-out pullulent comme les méduses en été.

La fin des patrons despotes

Modèle d’avenir alors? Disons qu’il est dans l’air du temps, observe Anne Davier. «La codirection prend sa place dans une époque qui conteste les modes de propriété anciens pour privilégier le covoiturage, les appartements communautaires, etc. L’individualisme est remis en cause jusque dans le champ culturel.»

Le duo serait aussi une émanation de la psyché helvétique, suggèrent Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser. «C’est moins fréquent en France, pays où le pouvoir doit s’incarner dans une personne. En Suisse, où le tissu associatif est important, le système fait que les décisions sont collégiales, or la collégialité commence à deux.» Le quatre-mains est l’art de l’écoute: et si ce genre de sonate était profondément helvétique?

«La Suisse est artistiquement un pays de duos»

Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser ont codirigé jusqu’à ces jours le Centre culturel suisse de Paris. Ils dévoilent les secrets d’une complicité au long cours

«Oui, nous nous séparons.» Au téléphone, le Genevois Olivier Kaeser et le Valaisan Jean-Paul Felley confirment d’une même voix la fin d’une alliance féconde. Près de trente ans de tête-à-tête. Des projets que l’un lance, que l’autre rattrape comme un ballon de volley. A la tête du Centre culturel suisse de Paris, ces collectionneurs de singularités ont poursuivi et amplifié un dialogue commencé à Genève avec l’espace d’art contemporain Attitudes.

Une brouille alors? Non. Un changement de direction. A l’automne, Jean-Marc Diébold succédera au duo qui pendant dix ans aura révélé au public français la diversité de la scène contemporaine suisse, celle des plasticiens, des chorégraphes, des performeurs, etc. Jean-Paul Felley, lui, a déjà fait ses bagages ou presque: il vient de prendre les commandes de l’Ecole cantonale d’art du Valais.

Le Temps: Comment est né ce compagnonnage?

Jean-Paul Felley: On s’est rencontré à l’Université de Genève, on étudiait l’histoire de l’art. Très vite, nous nous sommes retrouvés à monter une exposition ensemble à la Fondation Louis Moret à Martigny. Puis il y a eu l’aventure d’Attitudes à Genève: nous pensions que cela durerait quelques mois et puis…

Olivier Kaeser: Nous avons poursuivi sans plan de carrière. Nous avions des projets d’expositions sans cesse. Ce qui est rare, c’est de passer d’une structure indépendante à une institution comme le CCS.

Comment fait-on pour diriger aussi longtemps une structure à deux?

O. K.: La Suisse est culturellement un pays de duos. Pensez aux plasticiens Peter Fischli et David Weiss, aux architectes Jacques Herzog et Pierre de Meuron. A un autre niveau, nous avons partagé le plaisir de la responsabilité.

J.-P. F.: Quand on est deux à diriger, on ne doit jamais oublier qu’on travaille aussi avec une équipe et des partenaires multiples. Il ne faut pas qu’il y ait de doute sur le fait qu’une décision nous engage tous les deux. Le moindre e-mail a toujours été signé par nous deux.

Avez-vous toujours été d’accord sur les expositions et événements organisés au CCS?

J.-P. F.: Notre règle était que l’autre devait être d’accord. Si Olivier n’était pas intéressé, je laissais tomber.

O. K.: Tout ce que nous avons réalisé était le fruit d’une discussion. Je pouvais ne pas être convaincu au départ et finalement Jean-Paul retournait la situation.

Avec son équipe de onze personnes, le CCS est d’une taille modeste. Verriez-vous un binôme à la tête d’une grosse institution, le Musée d’art et d’histoire de Genève par exemple, qui cherche une nouvelle direction?

O. K.: Bien sûr, mais tout dépend de l’alliage. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans ont dirigé ensemble le Palais de Tokyo, ce grand musée parisien dédié à l’art contemporain.

J.-P. F.: Ça n’a rien à voir avec la taille. On peut diriger une grosse maison à deux. Le bureau Herzog & de Meuron, ce sont 200 personnes au moins et un chiffre d’affaires très important. Deux fortes têtes ne nuisent pas à la vitalité d’une entreprise, bien au contraire.

Pourquoi vous séparer?

O. K.: Nous n’avions pas la même vision de la fin de notre action au CCS. Jean-Paul avait envie d’un autre défi. Moi, je souhaitais aller jusqu’au bout des projets lancés ici, avant de passer le témoin à notre successeur. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas postulé ailleurs. Pour la suite, je verrai, je ne me projette pas.

Le secret de cette complicité au fond?

J.-P. F.: Une amitié qui n’a cessé de grandir au fil des années. Nous avions la chance que notre métier coïncide avec notre passion. La seule règle que nous nous sommes donnée, c’était de ne jamais partir en vacances ensemble. Chacun de nous a sa vie privée. C’est l’un des secrets de notre duo.

«A deux, nous sommes si forts»

Aux commandes du festival Antigel, Eric Linder et Thuy-San Dinh ont formé un couple dans la vie. Séparés aujourd’hui, ils n’ont jamais été aussi soudés professionnellement

«Nous formons un team d’enfer», s’emballe Eric Linder, alias Polar. A la tête du festival Antigel à Genève, il constitue avec Thuy-San Dinh, longtemps administratrice de compagnies, un duo aussi aimant que créatif. «Je n’aurais jamais pu diriger seul une telle manifestation, souligne le musicien. Au départ, nous étions même trois aux manettes, Claude Ratzé, qui était alors directeur de l’Association pour la danse contemporaine, Thuy-San et moi.»

Manifestation hors du commun en Suisse

C’est ce triumvirat qui a l’idée d’une manifestation hors du commun en Suisse. Son originalité? Elle investit toutes les communes genevoises, même et surtout les moins portées sur la culture. Chaque hiver depuis 2011, 40 000 à 50 000 Genevois bravent le froid en quête d’aventures esthétiques: un concert dans une piscine, une performance dans une champignonnière, un spectacle dans la carrière du Salève, etc.

Si Claude Ratzé abandonne Antigel au bout de trois ans, Eric Linder et Thuy-San Dinh en sont toujours les âmes fortes. L’histoire aurait pu mal tourner pourtant. A l’origine, ces deux ardents vivent en couple. «Dans un premier temps, nous séparions vie privée et travail, raconte Eric Linder. Mais le festival a grandi et il a envahi notre sphère intime. Nous sommes alors partis dans des directions opposées. Le paradoxe de cette séparation, c’est que nous n’avons jamais été aussi proches professionnellement. Cette aventure est en soi exceptionnelle.»

Une complicité ancienne

Le secret de cette entente? Une complicité ancienne d’abord. Une répartition des missions claire ensuite au sein d’une entreprise culturelle qui compte trois postes et demi fixes à l’année et engage pendant la période du festival près de 140 personnes. «Thuy-San est la leader, la colonne vertébrale, la gestionnaire, poursuit Eric Linder. Je me consacre pour ma part à la communication, à l’image du festival, à ce qu’il raconte. Et je m’occupe du pilotage artistique, inspiré aussi de mon métier de musicien que je continue d’exercer.»

Un duo presque parfait alors? Des désaccords peuvent surgir, mais ils sont transcendés par une vision partagée du festival. «On se considère d’abord au service d’un projet. Nous sommes l’un et l’autre les garants d’un concept, nous avons l’un et l’autre la volonté de l’enrichir et de le renouveler.»

Au jour le jour, Eric Linder et Thuy-San Dinh se démènent sur tous les fronts: élaborer un nouveau projet, convaincre les élus d’une commune genevoise, imaginer une création dans un lieu insensé… «Diriger, c’est batailler. A deux, nous sommes tellement forts.»

«Nous étions des outsiders absolus»

A la tête du Festival d’Avignon pendant dix ans, Vincent Baudriller et Hortense Archambault font figure de modèle

Aucun observateur sensé n’aurait misé un kopeck sur eux à l’été 2003. A la tête du Festival d’Avignon entre 2004 et 2013, Hortense Archambault et Vincent Baudriller font aujourd’hui figure de référence absolue quand on parle de duo. Mais en 2003, le grand rendez-vous de l’été est au bord du K.-O. La grève des intermittents ruine cette édition et emporte dans le naufrage son directeur, Bernard Faivre d’Arcier. Jean-Jacques Aillagon, le ministre de la Culture de l’époque, cherche un successeur, illustre si possible.

«Nous avions un avantage: nous connaissions la maison»

Pas question alors de confier cette manifestation ô combien symbolique à deux candides. «C’est peu dire que nous étions des outsiders, sourit la Franco-Suisse Hortense Archambault, aujourd’hui directrice de la MC93 à Bobigny. Nous avions un avantage: nous connaissions la maison. Vincent s’était occupé de la programmation auprès de Bernard Faivre d’Arcier, moi j’avais été son administratrice. Nous avons donc élaboré un projet.»

«Aux yeux du Ministère, nous additionnions les handicaps, se souvient Vincent Baudriller, actuel directeur du Théâtre de Vidy. Hortense avait 33 ans, j’en avais 34, nous n’avions jamais dirigé d’institutions, pis, nous étions des inconnus.» Surprise: c’est bien ce tandem qui prend la direction en 2004 d’une manifestation qui est un fleuron, une fierté française. Sous cape, les cyniques parient que ce duo boy-scout ne tiendra pas. Il a fait mieux que triompher des embûches, il a imposé une vision.

«La méfiance était grande»

«Quand nous avons été choisis, la méfiance était grande, confie Hortense Archambault. Le Ministère partait du principe que les histoires à deux finissaient mal. Nous avons eu le souci de nous légitimer. Cela impliquait de parler toujours d’une seule voix. Nous n’étions pas jumeaux, mais complémentaires. Vincent veillait sur la dimension artistique, j’avais la haute main sur l’administration. Nous partagions la réflexion sur le positionnement du festival.»

Le tandem paraît alors si uni qu’on le prend pour un couple. Trompe-l’œil: chacun a sa vie privée. «A deux, nous avions l’impression que nous pouvions prendre plus de risques, note Vincent Baudriller. A deux aussi, nous avions la possibilité de tester une idée qui nous tenait à cœur. Nous étions sans indulgence quand une proposition nous paraissait mauvaise, notre amitié nous permettait de nous dire les choses franchement.» De ces dix ans, Hortense Archambault et Vincent Baudriller disent avoir appris une certaine «horizontalité suisse dans l’exercice du pouvoir fondé sur le dialogue». Aujourd’hui encore, ils s’appellent en cas de souci. Tandem pour la vie, au fond.