«J’arrive!» Au téléphone, une voix s’empresse d’ajouter: «C’est Alex». Sweet à capuche sous son perfecto en daim, Alex arrive, finalement, commande une pression et allume une cigarette. La nuit a été courte. On n’en apprendra pas plus. Même en scrutant ses prunelles émeraude. A 26 ans, Alexandre Kominek se définit, non sans sourire, comme un «comédien autoproclamé». Trois ans déjà que ce Genevois écume les scènes romandes et, depuis peu, parisiennes, quand il ne perce pas la toile avec ses acolytes du collectif Carac Attack ou les ondes de Couleur 3 où il anime une chronique matinale. Dopé à l’adrénaline du one-man-show, il en redemande.

«Tu veux être drôle? Alors tu vas voir des gens.» Sur la terrasse d’un bistrot de la Jonction, Alexandre Kominek se livre sans tabou. Avec un enthousiasme communicatif. À l’entendre, être drôle n’est pourtant pas facile tous les jours. Passé l’euphorie, la scène c’est aussi les bides, les galères, les doutes… et les dettes. «Les montagnes russes, l’envers du décor, à la De la Villardière.» Il se marre. «Bien sûr que cela en vaut la peine, sinon je ne le ferai pas.» On reprend dans l’ordre.

Goût pour la provocation

De son enfance turbulente aux côtés de sa mère, polonaise et artiste, il retient sa bande de copains. «J’ai grandi entouré de Turcs, d’Espagnols, d’Albanais. En tant que fils unique, mes potes sont des frères.» Sur le terrain, il est le petit gros marrant, «mais pas victime», qui occupe la place du gardien. Des ballons en pleine figure, il passe aisément aux confrontations. «J’étais un peu grande gueule avec les profs. Sans doute pour masquer un manque de confiance.» Adolescent, il n’a pas peur du ridicule. Il va même jusqu’à le provoquer. «Un jour à l’Escalade, je n’ai pas attendu de me faire mousser par les grands, je m’en suis mis partout moi-même.»

Sa maturité obtenue à l’arraché, il prend un an pour se poser et cumule les petits boulots pour payer les factures. Il monte des piscines à Cologny, répare des circuits électriques, vend des fringues ou alpague des passants pour des causes humanitaires. «À la fin, je savais au moins ce que je ne voulais pas faire.» Fasciné par les avocats comme David Kleinfeld ou Al Pacino dans l’Associé du diable, il se lance dans des études de droit en 2011. Quelques mois après la rentrée, après avoir relu pour la dixième fois un article sur les successions, il plaque tout. Mais reste immatriculé jusqu’à la fin de l’année: pour les allocations et pour sauver l’honneur de sa mère.

Début 2012, Alexandre Kominek est retour à la caisse où il tipe machinalement les articles. Entre deux régimes de bananes et un pack de yaourt soja, il consulte, anxieux, son téléphone. Il attend la réponse des auditions du cours Florent, à Paris, auxquelles il a participé quelques semaines plus tôt. «J’y pensais depuis longtemps. Après avoir lâché l’université, je n’avais plus d’excuses.» Mais un email assassin plombe rapidement ses espoirs: «Merci pour votre intérêt». Après l’échec: l’errance. Il sort, picole, se cherche et finit par se perdre. «J’étais à terre. La vida loca ça va un moment. Là, ça ne m’amusait plus.»

Le remède vient en visionnant une pub pour une école de communication à la télé. «Le concept était ringard, la réalisation maladroite, ça m’a donné envie de faire mieux.» Il s’inscrit en direction artistique et affûte sa créativité. «Tu dois être inventif, réussir à vendre des baskets Nike comme du Boursin.» En parallèle, le jeune homme fait la rencontre de David Valère, comédien et professeur de théâtre, qu’il considère aujourd’hui comme son «père spirituel». «Il m’a transmis l’amour de la scène. Il possède ce brin de folie qui pousse les gens à prendre des risques, à tirer le meilleur d’eux-mêmes.»

Son premier stand-up? Une scène ouverte du Swiss Comedy Club en février 2013. «C’était au Bleu lézard à Lausanne. Je m’étais dit: si je prends un bide, au moins personne ne me connaît.» Au final, la blague du Pourquoi tu ne vas pas en boîte avec ta copine prend. Il poursuit à Genève dans les bars et les cafés-théâtres, à la rencontre du public. En 2014, il remporte le Banane Comedy Club à Lausanne en 2014. Depuis septembre 2015, il joue plusieurs soirs par semaine à Paris, «ville qui bouge où il y a davantage d’événements et d’opportunités». En octobre dernier, il est sélectionné pour représenter la Suisse au Jokenation, concours international qui réunit les jeunes talents de l’humour.

Éclectique, son univers se (re)construit chaque jour. Ses sketchs parlent de tout. De ses expériences, de son passé de petit gros, du mec tantôt sûr de lui, tantôt looser qu’il est devenu. Il manie l’humour noir, mais aussi l’humour d’observation, celui qui tacle les petites manies du quotidien et pousse le spectateur à se dire «c’est tellement ça». Quand il part dans l’humour communautaire, tout le monde en prend pour son grade: les Arabes, comme les Juifs ou les Roms. Sur un ton souvent cru, délicatement provocateur. Il se hasarde alors hors du politiquement correct, joue avec les limites, pousse la surenchère. «La grossièreté est pertinente quand elle est bien amenée. C’est quitte ou double, on aime ou on déteste.»

«Si tu te plantes, tu te plantes»

Car le stand-up ne pardonne pas. «Le retour du public est direct. Si tu te plantes, tu te plantes.» Une mise à l’épreuve pour laquelle il vibre, mais qu’il appréhende toujours autant. En suivant les conseils de Bun Hay Mean – alias Chinois marrant – il apprend à lâcher prise, à ne pas rester accroché à son texte. «Faire rire, c’est avant tout raconter. Pour casser la barrière et créer une complicité avec le public, il faut lui faire comprendre ce que tu veux dire. Les gens croient que comédien, c’est juste comique. En réalité, le comédien joue plusieurs rôles, il cumule les identités, les personnages.» Les siens, hybrides et décalés, s’inspirent de ce qu’il voit. Il est ce bobo qui ne mange que tibétain, ce serveur usé à la vanne sexiste, ce fêtard qui finit recroquevillé sur un canapé.

Au-delà du stand-up, Alexandre Kominek exporte sa vanne sur la Toile. Dans «Bipède», une websérie tournée comme un documentaire animalier, il s’amuse des instincts humains avec son pote Charles Nouveau, auteur de la série. Depuis septembre 2015, avec le collectif Carac Attack, il expose les non-dits, réinvente l’éducation sexuelle ou la telenovela façon hipster. «Une vraie cour de récréation.» Tous les lundis matin sur Couleurs 3, il revisite la soirée d’anniversaire d’une célébrité. De Benoit XVI à Victoria Beckham en passant par Vincent Van Gogh. Des projets pour l’avenir? Devenir acteur et terminer de lire le «Journal d’un vieux dégueulasse», de Charles Bukowski. «Un génie.»


Profil

1989 Naissance à Genève.

2012 Première scène à Lausanne dans le cadre du Swiss Comedy Club.

2014 Obtention de son bachelor en direction artistique.

2014 Lauréat du Banane Comedy Club à Lausanne.

2015 Finaliste du concours Jokenation.