C’est un flonflon d’automne qui remonte à l’enfance, une odeur de fauve et de sucre, un barrissement, un rugissement, le tintamarre du limonaire. Le Cirque national Knie s’installait sous les marronniers roussissant et un souffle d’ailleurs passait sur nos vies étriquées. Sous une autre latitude, une collègue, qui n’avait pas de ballon rouge quand elle était gosse dans son quartier, se souvient avec émotion du petit chapiteau et des deux lamas qui mettaient sporadiquement une touche d’exotisme dans la grisaille des jours.

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«Ces baladins qui serpentent les routes/Mais qui sont-ils donc dans leur costume d’or?/Des vagabonds ou des dieux en déroute?» chantait Gilbert Bécaud dans une rengaine saisissant l’ambivalence du cirque, qui cache sa misère sous des costumes de lumière, qu’on applaudit et dont on se méfie avec ses «clowns bien ridicules, dont le nom s’écrit en gifles majuscules», pour reprendre les mots d’Edith Piaf. Evoluant en marge de la société, respirant une forme de dangerosité, le cirque éblouit les enfants, inspire les peintres (Seurat, Picasso, Degas…), les écrivains (Dickens, John Irving), le cinéma (Sous le plus grand chapiteau du monde, Freaks, La Strada…). Il nourrit aussi une légende noire faite de trapézistes tombées, de dompteurs dévorés, de chapiteaux brûlés, de clowns macabres et d’enfants enlevés…

Embourgeoisement

Aujourd’hui, les saltimbanques se forment dans les écoles. Le cirque a gagné ses lettres de noblesse. Il s’embourgeoise, s’aseptise. Se désodorise car les fauves, les éléphants, les girafes ne sont plus du voyage. La fascination reste pourtant. Dans une recherche constante de l’excellence, le Cirque du Soleil réinvente à sa façon la tradition séculaire. Il se donne les moyens d’aller jusqu’au bout des visions des artistes. Il déploie dans ses spectacles une formidable machinerie qui a pour finalité de perpétuer et sublimer des gestes antiques, des grâces anciennes, une poésie éternelle.

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La multinationale québécoise des arts circassiens n’a jamais exhibé d’animaux. Ils foisonnent pourtant dans Luzia. Cheval, papillons, colibris, poissons, iguanes, tatous sont invoqués à travers des masques, des costumes, des marionnettes. Ce n’est plus la bête domptée, encagée qui se pavane sur scène, mais son idée, son esprit. La tradition évolue, le mystère persiste. L’œil du spectateur brille d’une lumière identique à celle qu’allumait jadis dans quelque banlieue un lama mité.