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Au Théâtre de Carouge, Shakespeare fait mieux que Meetic

Le metteur en scène britannique Dan Jemmett marie demoiselles et jouvenceaux shakespeariens dans un spectacle aussi timbré que délicieux

De gauche à droite, Geoffrey Carey, Valérie Crouzet, Delphine Cogniard, Antonio Gil Martinez et Vincent Berger offrent une nuit shakespearienne ahurissante d'humour.   — © DR
De gauche à droite, Geoffrey Carey, Valérie Crouzet, Delphine Cogniard, Antonio Gil Martinez et Vincent Berger offrent une nuit shakespearienne ahurissante d'humour.   — © DR

Sur la plage de nos vacances, il y a ceux qui écoutent les Beatles. Et ceux qui lisent La Nuit des rois sous le parasol. Vous ne vous sentez appartenir à aucune de ces tribus? Le metteur en scène britannique Dan Jemmett, lui, cultive cette double allégeance. Les pieds balayés par l’écume du jour, il sirote son Shakespeare. Cela donne un délicieux Shake au Théâtre de Carouge, spectacle batifolant - mais avec quelle rigueur - comme une classe en course d’école. Dan Jemmett et ses acteurs n’inventent rien: ils reprisent la trame de leur premier Shake, créé en 2001, à l’affiche à l’époque du Théâtre de Vidy.

De tourisme, l’actrice Delphine Cogniard n’en fait pas. Elastique comme Charlie Chaplin, elle surfe sur une vague romanesque, celle qui projette son personnage, Viola, sur la côte d’Illyrie. Sous ses yeux, sous les nôtres, cinq cabines, autant d’hublots ouverts sur l’océan. Delphine Cogniard alias Viola est orpheline de son frère jumeau, Sébastien, disparu dans le naufrage. Pour échapper à la concupiscence des mâles, la rescapée se travestit en homme, entre au service du duc Orsino, ce gros chat aux griffes vernies, tombe amoureuse de son maître.  Pas de chance, celui-ci est épris à la folie de la comtesse Olivia.

Dans cette veine du malentendu amoureux, Shakespeare est un maître farceur plus habile que tous les algorithmes de Meetic - ce site où volent en nuée les âmes esseulées. Il trouve en Dan Jemmett un disciple indiscipliné, qui coupe dans la matière, la ramène à lui, à son enfance anglaise, entre un père et une mère comédiens, à ses rires les soirs de variétés à la télé, à sa culture du non-sens, ce trait qui brouille les têtes bien faites. Cette lecture à hauteur de souvenirs pourrait souffrir d’égotisme. Elle est au contraire formidablement démocratique.

Rien d’obscur dans ce Shake, où règne l’irrésistible Geoffrey Carey (en alternance avec Marc Prin), fou du roi saturnien, veilleur de songes dans un peignoir mandarine. Il passe des disques sur un pick-up, autant de volutes british, de pop en pot de miel, de chansons à fendre les porcelaines de Buckingam Palace. Quand il ne joue pas les DJ neurasthéniques, il fait des blagues. Sous ses yeux passe Olivia alias Valérie Crouzet (une garde-robe à elle toute seule, cette actrice respire le théâtre) harcelée par le grotesque Malvolio (Antonio Gil Martinez) dans son costume jaune canari. Mais aussi Sir Toby transformé ici en marionnettiste ventriloque (Vincent Berger).

Devant son cabanon, Geoffrey Carey boit le thé dans un mug en Aladin désabusé. Shake est une théière volante.

Shake, Théâtre de Carouge, jusqu'au 15 novembre; rens. 022/343 43 43 et http://tcag.ch ; durée: 2h.