Une idée de la vie, en apesanteur qui plus est. Rien que ça. A la tête du Théâtre de l'Orangerie, Andrea Novicov a ce désir-là: créer des bulles d’air qui sont des alternatives à nos courses de damnés; modifier nos paysages intérieurs, pour nous réconcilier avec l’invisible: les racines des arbres, les mille et un oiseaux que nous confondons dans les nuées. Au parc La Grange à Genève, cette aspiration se traduit, dès le 28 juin, par un spectacle d’ouverture dont le titre est une promesse, Fabula rasa.

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Le sujet? Juste après la fin du monde, deux femmes recousent les lambeaux de langues perdues. «J’étais intéressé par le travail du comédien d’origine polonaise Bartek Sozanski, raconte Andrea Novicov qui cosigne la mise en scène. Il s’est d’abord formé à la marionnette et, depuis quelques années, il est passé au cinéma. Son Fabula rasa mêle les genres, des visions oniriques et des figurines, sur un texte que le Genevois Arthur Brügger a écrit au fil des répétitions.»

Le propos pourrait être culpabilisant. Mais le résident du parc La Grange n’entend pas jouer les Père Fouettard. «Nous ne sommes pas là pour faire la leçon. Il y a cinq ans, quand j’ai succédé à Valentin Rossier à l’Orangerie, dénoncer nos exactions contre l’environnement était pertinent. Aujourd’hui, tout le monde sait que la situation est grave. Greta Thunberg est passée par là. Notre programmation ne vise pas à dramatiser, mais à explorer, de manière détendue, notre relation au monde vivant.»

«Fini, l’ambiance caserne!»

C’est ce que fera la comédienne française Sofia Teillet, à travers une conférence poétique, De la sexualité des orchidées, du 19 au 24 juillet. C’est ce que proposera aussi le comédien Duncan Macmillan dans Toutes les choses géniales, solo qui invite les spectatrices et les spectateurs à composer la liste de leurs plaisirs.

Chasser la déprime, mieux, changer la donne, chacun à son échelle. A l’Orangerie, huit femmes assurent la technique – les régies son et lumière –, souligne l’artiste. «Elles sont évidemment aussi efficaces que des hommes et elles introduisent une autre atmosphère, plus douce. Fini l’ambiance de caserne! J’ai changé moi aussi. A mes débuts il y a trente ans, j’étais typiquement le metteur en scène qui se prenait pour un génie. Je suis devenu modeste.»

Lévitation annoncée

Sous les palmiers, au petit matin ou au crépuscule, le visiteur pourra jeter un œil sur le soleil du plasticien Christian Robert-Tissot – un «SUN» en lettres géantes qui change de teinte selon le moment; déguster un plat maison avec un vin du coin; s’endiabler, le 17 juillet, avec Les Pythons de la Fournaise, groupe musical de La Réunion; tanguer encore avec l’ensemble Terpsycordes et le bandonéoniste William Sabatier, le 28 août. Les jardiniers, même novices, peuvent s’initier à la cueillette de plantes domestiques sauvages. Des ateliers sont organisés chaque mercredi, du 6 juillet au 31 août.

Bref, la lévitation est programmée. Le 9 août, elle sera effective grâce à Camille Giacobino et Marielle Pinsard, sur une idée de l’autrice Manon Pulver. Les téméraires se verront proposer un vol intergalactique où ils se frotteront à des engins conçus par Plonk & Replonk, où ils s’enivreront aussi de cocktails cosmiques. Nom de ce vol plané? La Soucoupe est pleine.

«L’idéal, ce serait de pouvoir vivre tout le temps comme ça», s’emballe Andrea Novicov. On vote pour l’Orangerie.


Théâtre de l’Orangerie, Genève, parc La Grange, jusqu’au 4 sept.


En passant par les sentiers buissonniers

L’Orangerie a ses bosquets et ses verrières oniriques. Andrea Novicov invite chaque été des plasticiens à y déployer leurs paysages intérieurs. Trois escapades miniatures raviront le visiteur.

«Nature morte»

Une Vallée de la Mort comique. Le Jurassien Augustin Rebetez excelle dans l’humour noir. Dans une grande serre faite pour les apartés philosophiques ou amoureux, il a déposé les mille et un objets d’un cauchemar contemporain. L’apocalypse a eu lieu. L’artiste a recueilli nos vestiges: ici, c’est un cactus calciné, là un gros oiseau au bec blanc, là encore deux mains qui supplient un ciel aux abonnés absents. Cela serait seulement funèbre si Augustin Rebetez n’était pas aussi joueur. Il suffit d’une pression sur un bouton pour que ses créatures toquent, crissent, grincent. Son ballet mécanique dépayse.

«Obscures lumières»

Tout autre vision à la petite serre. Sur de grandes feuilles blanches, des plantes dessinées d’une main de dentellier dévoilent leurs vies secrètes. Pas leurs habits du jour, non, leurs pétales indolents ou leurs griffes insolentes. Mais leurs racines qui s’entrelacent à l’abri des intrus, sous terre. Ces planches sont l’œuvre de botanistes. Ils mettent au jour la géographie de territoires souterrains. Et ils offrent un voyage qui aurait pu s’appeler «Vingt mille lieues sous les terres».

Théâtre de verdure

Ils plastronnent, c’est plus fort qu’eux. Des histrions, on vous le dit. Mais leur superbe vous cloue sur place. Ces acteurs sortent du Conservatoire et Jardin botaniques pour décliner leurs tirades muettes dans les jardins de l’Orangerie. Il vaut la peine de méditer au pied de tel Acacia melanoxylon ou de tel faux goyavier. Leurs ramages élèvent.