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Au Théâtre du Loup, plaidoyer pour des nettoyeuses qui ne veulent pas être des serpillières

En 2019, des employées d’une société de nettoyage ont fait grève à Genève pour dénoncer des contrats iniques. Sur scène, Jérôme Richer évoque ce combat avec efficacité

Les manifestantes avec, derrière elles, la liste de leurs revendications. — © Isabelle Meister
Les manifestantes avec, derrière elles, la liste de leurs revendications. — © Isabelle Meister

Après les squatteurs en 2008, les Roms etles actrices pornosen 2015, puis les pauvresen 2019, pleins feux ces jours, au Théâtre du Loup à Genève, sur les nettoyeuses, ces exploitées de l’empire de la propreté. Jérôme Richer a cette passion: mettre en lumière des populations mal-aimées que la société préfère cacher sous le tapis, ni vu, ni connu.

Justement, parce qu’elles en ont eu marre d’aspirer les moquettes des bureaux feutrés dans des conditions de plus en plus humiliantes, les héroïnes de Malgré qu’on me traite comme de la merde, je suis quand même gentille ont mené une grève, une vraie, à Genève en 2019 – et obtenu satisfaction. C’est donc un récit positif, plein de vigueur et de combat, que livre l’auteur et metteur en scène genevois.

Trop, c’est trop!

Elles s’appellent Maria, Francesca, Eduarda, Patricia, Marina. Elles sont essentiellement portugaises, peu à l’aise en français, mal payées et employées au gré d’horaires compliqués, très tôt dans la journée ou tard en soirée. Déjà pas drôle. Mais l’affaire tourne carrément au vinaigre quand, fin 2018, l’UBP, la banque genevoise où elles font leurs heures, rompt le contrat avec Orgaprop, leur société de nettoyage et que, pour se venger – on se demande bien contre qui? –, ladite société amende les employées de 30 000 francs si elles passent à la concurrence pour continuer à poutzer le même établissement.

Trop, c’est trop, s’insurgent les nettoyeuses. Appuyées par le SIT-Syndicat ­interprofessionnel de travailleuses et travailleurs, elles négocient sans succès pour obtenir la suppression de cette amende et finissent par mener une grève, en janvier 2019, devant la banque concernée. C’est que cette dernière, comme toutes les grosses entreprises, a aussi sa responsabilité dans cette affaire. En sous-traitant l’entretien des locaux à des sociétés extérieures et en négociant à la baisse le coût de ces prestations, les grands établissements précarisent les conditions de travail de cette main d'œuvre. Le slogan des grévistes en colère? «On n’est pas des serpillières!»

Les grévistes et leur banderole en colère. — © Isabelle Meister
Les grévistes et leur banderole en colère. — © Isabelle Meister

Spectacle binaire

Contrairement au spectacle sur les Roms où les questions étaient ouvertes, voire ambiguës, contrairement à la proposition sur la pauvreté où l’humour et la variété d’approches tissaient une fresque aussi brillante que dérangeante, le spectacle des nettoyeuses en grève est plus binaire. D’un côté, les hommes puissants et sans scrupules: les directeurs de la banque et de la société de nettoyage, ainsi que les policiers Robocops qui surveillent les manifestantes de manière totalement disproportionnée, car, n’oublions jamais, «derrière chaque citoyen se cache un terroriste»! De l’autre, les femmes exploitées et courageuses qui se battent pour leurs droits.

Le récit est efficace, bien mené, partagé entre six comédiennes alertes et précises, mais on ne peut s’empêcher de regretter par moments les précédentes créations, plus surprenantes et plus canailles aussi, de Jérôme Richer.

Ironique aussi

Cela dit, il y a de l’ironie dans ce récit de grève. La mise en scène hollywoodienne de l’interview de la déléguée syndicale, cheveux dans le vent. Ou l’uniforme d’un Robocop avec un seau de nettoyage en guise de casque de protection. On rit encore quand, pour se réchauffer lors des piquets de grève, les héroïnes entonnent la chanson «Petits poissons dans l’eau nagent, nagent comme les gros».

Casque de Robocop façon seau de nettoyage. De là à dire que les pandores manquent de vision... — © Isabelle Meister
Casque de Robocop façon seau de nettoyage. De là à dire que les pandores manquent de vision... — © Isabelle Meister

Et puis, portées par les comédiennes elles-mêmes, des questions concernant le recours privé à une femme de ménage émaillent ce récit épique et permettent d’impliquer directement le public.

Six femmes puissantes

Il faut d’ailleurs les saluer, ces six comédiennes qui frottent, racontent, incarnent un directeur de banque avec des poils de balai sur la tête ou confectionnent une banderole à coups de chiffons de couleurs mis bout à bout. Dans le sillage des expérimentées Jacqueline Ricciardi, Fanny Brunet et Camille Figuereo, les plus jeunes Donatienne Amann, Julia Portier et Thaïs Venetz assurent dans l’alternance du jeu direct et du récit indirect.

Au final, on voit du théâtre pêchu et utile. Qui remet sur le devant de la scène un acte de résistance exemplaire et questionne le public sur ce qu’il est prêt à faire pour que cessent ces exploitations invisibles.


Malgré qu’on me traite comme de la merde, je suis quand même gentille. Théâtre du Loup, Genève, jusqu’au 16 octobre.