Pensez-vous à votre mort? Pensez-vous à la manière dont vous aimeriez vous éclipser et à la trace que vous souhaiteriez laisser? Si ce n’est pas le cas, ce thème s’imposera après avoir vu «Nachlass», travail de grande sensibilité à l’affiche de Vidy-Lausanne jusqu’au 24 septembre. A la manœuvre, Stefan Kaegi, spécialiste du théâtre du réel qui, avec Dominique Huber et le Rimini Protokoll, propose d’entendre la parole de neuf personnes, âgées ou non, qui, pour des raisons diverses, ont fait de leur mort un sujet. Sans être léger, ce voyage en deathland n’est ni sinistre, ni macabre. Il est une invitation à se penser pour l’éternité.

On a un gros faible pour Celal Tayip. Ce commerçant turc à la retraite, établi à Zurich depuis 54 ans. Comme les autres protagonistes de «Nachlass», Celal, 78 ans, nous accueille dans une chambrette dont le tapis au sol, les loukoums et les inscriptions en arabe donnent immédiatement une couleur au quart d’heure. En fait, Celal ne nous accueille pas vraiment dans cette alcôve tapissée d’Orient. Sa présence est virtuelle. Sur un film, on le voit prier à la mosquée, se rechausser et se rendre dans une entreprise de convoi funèbre à l’étranger. Celal veut être enterré à Istanbul où il est né. Il souhaite reposer entre sa mère et son père et, pour cela, il est prêt à payer. 4500 francs, c’est le prix d’un cercueil avec coussin soyeux, d’un linceul coupé sur mesure et d’un ultime voyage vers la terre de ses aïeux. Son témoignage raconte son rapport, intime et fervent, avec la mort.

Que vaut une vie sans souvenirs?

Un rapport qui se situe à l’opposé de celui qu’entretient Richard Frackowiak. Dans une cellule immaculée et technologique, ce neuroscientifique, qui a occupé de hautes fonctions au CHUV, nous raconte qu’il ne croit pas à la vie après la mort. Comme il ne croit pas d’ailleurs à la vie à moitié, avec un cerveau diminué. «Souhaiteriez-vous vivre si vos souvenirs et vos émotions étaient réduits à néant», interroge-t-il alors que les spectateurs, assis devant une sorte de scanner, voient successivement leur propre visage et ceux de leurs voisins. La question, qui fait froid dans le dos, mérite en effet réflexion…

Unique donc universel

Elle est là, la pertinence du travail de Stefan Kaegi et Cie. Cette approche au plus près de la personne donne au sujet une originalité et une force bien supérieures à un traitement théorique et abstrait. On est bouleversé par cet homme de 44 ans qui est atteint d’un syndrome mortel et qui, dans une chambre couleur eau et or, dit au revoir à sa fille de 10 ans. On est attendri par cette nonagénaire passionnée de photographie qui nous reçoit dans son carnotzet ou encore impressionné par cette passionnée de l’Afrique qui lègue sa fortune à des projets de développement intelligents. Comme on est exaspéré par cet amateur de base jumper de 45 ans qui dissocie vie de famille et mise en danger… A chaque cellule, ses réflexions, ses sentiments, ses sensations. A Vidy, parler de la mort est très vivant.


Nachlass, jusqu’au 24 septembre, Vidy-Lausanne, 021 619 45 45, www.vidy.ch