«La littérature ne bégaie pas l’existence, elle l’invente.» «Il y a deux races particulièrement monotones dans le règne animal: les hommes et les chiens.» «L’amour n’est rien qu’une perversion de la sexualité, un détour, une erreur, un chemin de traverse où musardent ceux qu’ennuie le coït.»

Si vous être friands de formules qui frappent, rendez-vous ces jours à la petite salle genevoise du Théâtricul, à Chêne-Bourg. Eric-Emmanuel Schmitt y déploie sa plume virtuose dans Variations énigmatiques, un texte de 1996 qui confronte un écrivain misanthrope et un journaliste humaniste. Le duel est prenant et surprenant, car tendu de rebondissements. Sous la direction de Charlotte Filou, les comédiens Bastien Blanchard et Antoine Courvoisier donnent à la partition sa profondeur et son mordant.

Des drôles sérieux

On les connaît plutôt en rigolos. Façon Rémi De Vos, cet auteur qui broie volontiers notre quotidien pour en faire de la pâtée pour chiens. Ou façon impro, un genre dans lequel ces deux comédiens-musiciens excellent régulièrement. D’ailleurs, au Théâtricul, ils offrent le meilleur de leurs facettes comiques dans Le Promptu, second volet de la soirée.

On a peu vu Bastien Blanchard et Antoine Courvoisier, jeunes comédiens issus de l’Ecole de théâtre Serge Martin, dans un registre sérieux et réaliste. Ce costume leur va bien. Car, même si Bastien Blanchard n’a pas l’âge d’Abel Znorko, Prix Nobel de littérature qui vit reclus sur l’île de Rösvannöy, au-dessus du cercle polaire, il compose sans faille ce poseur arrogant et autoritaire.

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En face, Antoine Courvoisier enchante de nouveau avec sa manière bien à lui d’infuser le texte par tous les pores de sa peau. Déjà salué à maintes reprises (Intendance, Les Séparables, Normalito, Dukudukuduku, etc.), le comédien aux «s» sifflants rend tous ses personnages simplement vivants, évidents. Ici, il est Erik Larsen, un journaliste local qui a obtenu le rare privilège d’interviewer l’écrivain nobélisé. A moins que ses motivations soient plus romanesques… Chut! Les péripéties font partie du plaisir de la soirée. Juste dire, peut-être, que tel est pris qui croyait prendre.

Le lent travail des jours

Eric-Emmanuel Schmitt n’est pas un auteur à succès pour rien. Sa plume court avec allégresse sur les sujets abordés dans Variations énigmatiques, texte qui doit son titre à Variations Enigma, une pièce musicale et mystérieuse de Sir Edward Elgar. L’écriture, la vérité, l’engagement, le courage, la solitude de chacun…

Et cette question à jamais ouverte: l’amour, est-ce un travail du quotidien entre deux camarades qui se construisent, brique après brique, une vie à deux? Ou une fulgurance sublime qui ne tolère aucune routine et ne peut se vivre qu’à distance, voire dans l’absence? Au-delà d’être débattu, le sujet est éprouvé dans cette pièce qui redistribue les affections d’une manière inattendue.

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On se régale d’autant plus que les comédiens prennent le temps de cet échange. Ne bousculent rien et n’annoncent pas, par de lourdes œillades, à quelle sauce le spectateur va être mangé. Cette sérénité est sans doute liée au fait que le spectacle, créé une première fois en 2017, est une reprise. On y sent la maturité et le plaisir humble de donner au texte sa pleine portée. On apprécie aussi le message ultime qui privilégie le lent travail des jours sur l’impromptu de l’amour.


«Variations énigmatiques» et «Le Promptu», Théâtricul, Genève, jusqu’au 22 janvier.