La sous-section «21 h, l'heure du thriller» propose deux films d'un cinéaste d'exception.
Thierry Jobin
Il aura fallu attendre le dynamisme du Black Movie pour que Park Chan-wook hante enfin les écrans suisses avec ses deux derniers longs métrages: Sympathy for Mr. Vengeance (2002) et Old Boy. Impossible de comprendre pourquoi, alors qu'il fut Grand Prix du Jury à Cannes l'an dernier, Old Boy n'a réveillé aucun distributeur. Il est pourtant grand temps de découvrir son auteur, ancien critique qui, à 41 ans et en cinq films, a révolutionné le cinéma d'action et le thriller psychologique.
Qu'a donc ce cinéaste de si différent? D'abord une carrière déjà bien cabossée. Après deux films restés inédits hors de Corée (La Lune est le rêve du soleil en 1992 et Le Trio en 1997), il a signé un gros succès en 2000: Joint Security Area, épatante comédie entre soldats postés sur la frontière qui sépare les deux Corée. Libéré financièrement, Park Chan-wook réalise alors l'ambitieux et ambigu Sympathy for Mr. Vengeance. Histoire de licenciements économiques, d'enlèvement d'enfants, de trafics d'organes et de vengeances croisées dont aucun personnage ne sort vivant, le film connaît un échec cuisant. Mais il devient un objet de culte, en DVD, dans le monde entier. Narration éclatée, cruauté partagée par des personnages confrontés à des impasses sociales et psychologiques, vitriol contre l'ultra-libéralisme et formalisme ingénieux: la marque d'un grand cinéaste.
Deuxième volet d'un cycle sur la vengeance, Old Boy fait quant à lui exploser les codes du cinéma d'action et de la direction d'acteur. Choi Min-sik (Ivre de Femmes et de peinture d'Im Kwon-taek) incarne ici un homme kidnappé et enfermé dans un studio meublé pendant quinze ans. Durant sa captivité, sa femme est assassinée et il est soupçonné de meurtre. Soudain libéré, il cherche qui l'a kidnappé, mais s'aperçoit que la vraie question est plutôt pourquoi. Triomphe en Corée fin 2003, cette adaptation d'un manga regorge de trouvailles de mise en scène. Et derrière le thriller, impossible de ne pas penser qu'il s'agit de la plus puissante allégorie sur l'aliénation des Coréens, peuple scindé en deux depuis si longtemps.
Cinéma Spoutnik, Coulouvrenière 11, Genève.
En alternance avec «Memories of Murder» de Bong Joon-ho.