La gestion des biens et la guerre ont donné naissance à l’informatique. Car mieux que l’homme, la machine électronique possède le talent de classer et de traiter sans broncher un grand nombre de données. Les premiers ordinateurs s’occupent donc de calculer des courbes balistiques et de surveiller des stocks. Il fallait bien qu’un jour le jeu vidéo entre dans cette affaire. C’était au début des années 1960 avec d’un côté Spacewar! et de l’autre Hamurabi, une simulation de plantation céréalière.

Dans le même genre, on se souvient d’une histoire de buvette. Le but était simple: il fallait faire en sorte que son stand de limonade rapporte davantage en fin de journée que ce qu’il avait coûté au départ. Le joueur fixait un prix en fonction des matières premières engagées (citrons, sucre, eau). Celui-ci ne devait être ni trop élevé (zéro succès et ruine assurée), ni trop bas (gros succès, mais ruine assurée quand même).

Et puis le jeu de gestion a évolué. Au point de voir le principe de la guinguette adapté à l’échelle d’une ville dont le joueur occuperait la mairie virtuelle. C’est l’idée que développe Will Wright, étudiant à la New School University de Louisiane, où il cumule des diplômes en sciences sociales, architecture et génie mécanique. Pendant son temps libre, Will s’adonne à la programmation de jeu vidéo. En 1984, il a déjà enregistré un joli succès en vendant à Broderbund Software son jeu d’hélicoptère bombardant des usines. Le décor urbain minimaliste qui défile à vol d’oiseau dans Raid on Bungeling Bay préfigure le futur gros carton du développeur. Car c’est la ville qui intéresse Will Wright. Non pas pour la détruire, mais cette fois pour la construire. Il imagine un terrain vierge sur lequel il faudrait bâtir toutes les infrastructures nécessaires au bon fonctionnement d’une cité. Des routes et des centrales électriques, des immeubles de bureaux et des hôpitaux. Sans oublier les villas pour loger la plèbe numérique dont les impôts vont financer les plans d’urbanistes fous.

En 1989, Will Wright fonde avec Jeff Braun la société Maxis et lance SimCity (la contraction de Simulation City). Le joueur possède un budget municipal et pose stratégiquement ses bâtiments sur une carte en 2D. Il faut ensuite équilibrer les comptes. Les entrées fiscales doivent ménager la chèvre et le chou en créant, par exemple, des lieux de loisirs pour s’assurer une citoyenne docilité. Elles doivent aussi servir à faire face aux catastrophes naturelles qui rasent le cadastre et aux administrés qui parfois se rebellent contre l’autorité. Avant de forcer le joueur, maire dépité sans plus un rond en poche, à repartir de zéro. Le coup de génie de SimCit y c’est ça, c’est le fait qu’aucune partie ne ressemble jamais à une autre, et qu’on peut y rejouer à l’infini. Will Wright a inventé le jeu qui ne s’arrête jamais. Il va lui donner trois autres occurrences (SimCity 2000, SimCity 3000 et Sim City 4) qui vont gagner en complexité graphique et urbaine, transposer l’action de la ville à l’échelle de la planète (SimEarth) et d’une colonie de fourmis (SimAnt), et exploiter l’un des points forts de son concept: les réactions épidermiques de la population. En 2000, Maxis lance The Sims. Cette fois la gestion du vivant est observée du point de vue de la famille nucléaire qui veut un bon boulot et une belle maison. Car de la même manière que dans SimCity, le plaisir du joueur était de renverser les règles (la bonne gestion) dans ses extrêmes inverses (vouer la ville et ses habitants à la ruine), dans les Sims, la jubilation du gamer est de créer des personnages sociopathes qui ne travaillent pas, ne se lavent jamais et flanquent le bazar dans la communauté.

Le coup de génie de «SimCity», c’est le fait qu’aucune partie ne ressemble à une autre, et qu’on peut y rejouer à l’infini