Simon Boccanegra? Un opéra méconnu de Verdi, quoique chéri des connaisseurs, une genèse laborieuse, une histoire terriblement compliquée. Comment s’y retrouver dans cet imbroglio? Créé sans succès en 1857 à la Fenice de Venise, repris vingt-quatre ans plus tard dans une version passablement remaniée avec l’aide du grand Arrigo Boito, ce drame lyrique dresse le portrait d’un ancien corsaire, plébéien érigé au rang de doge de la ville de Gênes.

L’action remonte au XIVe siècle. Luttes de pouvoir, luttes de clans: la ville est déchirée par le conflit entre patriciens et plébéiens. Simon Boccanegra, ancien combattant des mers, est élu doge sous la pression de ses amis. Or s’il accepte cette charge, c’est pour accéder au rang de celle qu’il aime: Maria, fille de l’ancien doge Jacopo Fiesco. De cette union illégitime est née une fille, abandonnée et portée disparue depuis le jour où sa nourrice a été assassinée. Cette orpheline s’appelle désormais Amelia Grimaldi, du nom de celui qui l’a recueillie.

Poulies, roues édentées et treuils

La mise en scène, signée Arnaud Bernard, traduit très bien l’atmosphère ténébreuse et tragique de l’œuvre. Les éclairages tamisés, toute une machinerie de poulies, de treuils, de roues édentées et de pont-levis suggèrent une forme d’oppression. Cette machinerie aurait pu être plus suffocante encore, mais l’on reste ici dans une forme de classicisme. Les scènes se succèdent comme des tableaux picturaux de la Renaissance. Et de ce décor se détache la figure de Simon Boccanegra, appelé à exercer son nouveau rôle de doge dans une société minée par des luttes fratricides entre plébéiens et patriciens.

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Ligoté par des intérêts politiques qui le forcent à peser chaque décision, il se heurte à des conjurations. Le baryton Roberto Frontali incarne bien l’amertume qui le ronge. Le pouvoir corrompt, or Boccanegra est un homme droit. Le doge cherche à réconcilier les factions ennemies lors de scènes de foule très animées avec les choristes, mais ce sera au péril de sa vie. Ce rôle de pacificateur émerge au grand jour dans la formidable scène du Conseil, où Boccanegra s’impose comme un homme politique fort.

L’intrigue est complexe, mais la mise en scène éclaire les manœuvres sournoises à l’égard du doge. Paolo Albiani (le baryton genevois Benoît Capt, habile de ses mouvements, impliqué dans son rôle de traître) est un cynique plébéien qui porte Boccanegra au pouvoir puis orchestre sa mort lorsque celui-ci s’oppose à son ambition. Le patricien Fiesco, avide de punir Boccanegra pour les «amours impures» avec sa fille Maria, est campé par la basse géorgienne George Andguladze qui n’est pas le plus heureux des comédiens. Une voix sombre, tout d’un bloc, au demeurant assez impressionnante, mais un peu engorgée et monochrome.

Jeune couple fervent

La jeune Maria Katzarava incarne Amelia avec ses tripes. C’est une voix charnue, rayonnante, aux vastes possibilités, qui gagnerait à moduler un peu ses nuances, mais le personnage est là. Elle forme un beau couple vocal avec le ténor Andeka Gorrotxategi (Adorno), tout en ardeur et en ferveur. Par sa forte présence théâtrale, sans trop en faire, Roberto Frontali l’emporte dans le rôle principal. Le baryton italien – au timbre admirablement projeté, un rien monolithique mais profondément vécu de l’intérieur – possède l’allure d’un chef d’Etat désabusé.

Le chef d’orchestre Stefano Ranzani a été remplacé au pied levé par Salvo Sgrò (chef des chœurs). Malgré quelques raideurs pour régler les départs et enchaînements, celui-ci a sauvé la représentation de la première. Un drame de sang et de pouvoir qui illustre combien l’exercice politique est un sombre cadeau pour ceux qui visent haut.


Simon BoccanegraOpéra de Lausanne, le 8 juin à 20h et le 10 juin à 15h.