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Sir Anthony Hopkins, la crise d'adolescence

Le célèbre comédien a rallié le festival vendredi pour présenter, en compétition, son premier film de cinéma en tant que réalisateur: «Slipstream», un ovni totalement déroutant. «C'est voulu», rigole l'intéressé.

Mondialement célèbre pour son interprétation du tueur en série Hannibal le cannibale, Anthony Hopkins a-t-il fini, comme le personnage qu'il incarne dans Slipstream (lire ci-dessous), par confondre la fiction et la réalité? Attirés par son aura internationale, les festivaliers ont en effet, découvrant sa première réalisation de cinéma, été nombreux à penser que le comédien avait avalé David Lynch au petit déjeuner. Slipstream, qui concourt pour le Léopard d'or, fait en effet de Mulholland Drive ou Inland Empire des ouvrages... accessibles. A un point, même, qu'il frise le n'importe quoi: la référence à Lynch, avec qui il avait tourné Elephant Man en 1980, dérive vite quelques étages plus bas, du côté des visions psychédéliques d'Oliver Stone, pour qui Hopkins avait incarné Nixon dans le film éponyme en 1995.

Impossible, pourtant, d'en vouloir à Anthony Hopkins d'avoir brûlé le mode d'emploi de son projet délirant. D'abord parce que l'homme, septuagénaire le 31 décembre prochain, charmant et tout heureux de s'attabler à Locarno en compagnie de son épouse-productrice-interprète Stella Arroyave, ne s'attend pas à battre les records du Silence des agneaux: «Je ne serais pas surpris si mon film ne sortait que dans des circuits très limités. Ça ne me toucherait pas: je suis très résistant. Mentalement comme physiquement, je ne crois pas en la maladie. Y croire, c'est déjà la laisser entrer.» Et pourtant, Slipstream, ce pur défoulement expérimental, qu'il a écrit, réalisé, interprété, produit et dont il a aussi composé la musique, est né il y a quatre ans, suite au décès de sa maman.

Sans moyens, avec le soutien d'une horde d'amis heureux d'en faire trop devant sa caméra en plein milieu du désert Mojave chauffé à blanc («Christian Slater, John Turturro, Kevin McCarthy,... par 50 degrés!», souligne sa femme), Hopkins a cherché et trouvé une nouvelle fraîcheur. Usé et un peu las des films «à la Anthony Hopkins», il s'est complètement éloigné de Hollywood. Il est parti à l'air libre, là où aucun producteur ne pouvait plus mettre le nez dans sa petite cuisine. Histoire d'ouvrir tranquillement les bocaux de son inconscient et d'y découvrir, ma foi, un stock impressionnant de champignons hallucinogènes. Beaucoup de stars, de Clint Eastwood à George Clooney, ont passé derrière la caméra, mais peu en ont profité à ce point, en particulier lors des quatre mois qu'il a passés à triturer, scratcher, étirer ses images dans tous les sens avec l'ancien monteur des frères Coen, Michael R. Miller. «Je n'ai plus peur d'être libre. Les gens pourraient ne pas apprécier, mais ce n'est plus mon problème. J'ai créé un film sans structure, parce que la vie ne m'a appris qu'une seule chose: il n'y a aucune structure dans nos actes.»

Pour comprendre une rébellion aussi extraordinaire que vaine (puisque quasi-personne ne voudra montrer et a fortiori voir Slipstream), il faut revenir septante années en arrière au pays de Galles, là où ses parents l'ont conçu puis élevé. «Aujourd'hui, je vis à Malibu, mais j'ai bel et bien grandi là-bas. J'admirais James Dean, sauf que la seule filière qui s'offrait à moi en Grande-Bretagne, c'était le théâtre anglais, les classiques. Alors bien sûr, j'ai côtoyé Laurence Olivier et d'autres dans cet environnement britannique bien carré. Mais je me suis incroyablement ennuyé. Certains de mes collègues semblaient fiers de dire qu'ils avaient joué Hamlet ou Oncle Vania 500 ou 1000 fois. Quel intérêt? J'ai donc décidé un jour d'arracher mon costume d'acteur britannique. C'était ça ma vraie nature. Je ne pouvais pas continuer à vivre dans un pays, la Grande-Bretagne, où la réplique la plus répandue était et est toujours: «C'est comme ça et pas autrement!»

De ces racines, Anthony Hopkins a malgré tout gardé un respect absolu pour les textes qui lui sont confiés. Pas étonnant qu'il ait fait d'un scénariste le héros de Slipstream: «Pour moi, c'est le personnage le plus important dans un film. J'enrage quand je vois un acteur improviser et faire le malin avec le script.» Depuis 1974, lorsqu'il a débarqué pour la première fois aux Etats-Unis avec sa valise et son accent gallois, il ne s'est jamais débarrassé de ça. Plus Américain que bien des Américains, rien ne l'agace davantage que la désinvolture face au texte roi. Du coup, les salles de cinéma californiennes ne l'ont plus vu fréquenter leurs rangées depuis longtemps. Il commande des DVD de temps en temps, quand tel ou tel film lui semble sortir du lot. Se lézarde en contemplant le Pacifique. Et, désormais, écrit: «Je viens de commencer mon deuxième scénario. Je me verrais bien continuer sur cette voie: choquer à tout prix! Même en ennuyant!»