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«Smoking Up Ambition» ressort des œuvres oubliées des fonds publics genevois

Sous les belles ailes de béton du Pavillon Sicli, quelque 70 pièces croisent les époques, mêlent les matériaux, sans plus de considération pour la réputation actuelle de leurs auteurs. Intrigant

Vue de l’exposition «Smoking Up Ambition». Avec au premier plan les œuvres de Pierrette Bloch, Klara Kuchta et Aline Morvan. Au second plan, on aperçoit la pièce de Carmen Perrin en morceaux de briques collées. — © Sandra Pointet
Vue de l’exposition «Smoking Up Ambition». Avec au premier plan les œuvres de Pierrette Bloch, Klara Kuchta et Aline Morvan. Au second plan, on aperçoit la pièce de Carmen Perrin en morceaux de briques collées. — © Sandra Pointet

Regards sur l’art, entre ambitionset fumées

Beaux-arts Des œuvres oubliées ressorties des fonds publics genevois

«Smoking Up Ambition» est plus qu’une exposition

La fumée dessine parfois d’étranges images. Certains fumeurs de cigares parviennent à les maîtriser. Un peu. Mais ce sont surtout nous qui projetons dans les fumerolles, comme dans les nuages, quelques-unes de nos images mentales. Et que projetons-nous dans les images des autres, celles produites par les artistes? C’est une des questions que soulève l’exposition genevoise Smoking Up Ambition, qui déploie plus de 70 œuvres dans le Pavillon Sicli. Une ancienne usine d’extincteurs n’est-elle pas le lieu idéal pour s’interroger sur les ambitions, parfois fumeuses, de ceux qui produisent, choisissent et exposent des œuvres d’art?

La manifestation est le fait de Fabienne Bideaud et Donatella Bernardi, lauréates de la Bourse au commissariat d’exposition attribuée par le Fonds cantonal d’art contemporain (FCAC) en 2013. Si elles ont puisé dans cette réserve, riche de 5000 pièces, pour mettre sur pied leur projet, elles ont aussi utilisé d’autres ressources, comme le Fonds municipal d’art contemporain, le Musée de l’Ariana, le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain), et le CERCCO (Centre d’expérimentation et de réalisation en céramique contemporaine) de la Haute Ecole d’art et de design Genève. En fait, les œuvres, de facture et de dimensions extrêmement variées, sont autant de témoins d’une histoire, celle de la visibilité de l’art à Genève ces deux dernières décennies, avec quelques plongées plus anciennes.

Toutes ces œuvres ont été jugées dignes d’entrer dans des collections, exposées pour la plupart, avant de se retrouver enfermées dans les réserves jusqu’à cette nouvelle sélection. Beaucoup ont été oubliées, d’autres, récentes, le seront peut-être bientôt. Et cela indifféremment de l’évolution de la «carrière» des artistes qui les ont créées, de la reconnaissance de leurs ambitions.

C’est une sorte de cabinet de curiosités qui se dessine ainsi, si ce n’est que l’exposition est assez aérée pour que les œuvres puissent se regarder à la fois pour elles-mêmes et pour les dialogues qui se tissent entre elles. Sous les magnifiques voiles de béton du bâtiment, jusque dans les petites salles peu souvent utilisées, les formes, les matières, les périodes de l’art se mêlent comme rarement. La configuration des lieux permet aussi des points de vue rares, des survols.

On peut ainsi mettre en perspective des objets peu souvent confrontés. Comme cette petite pièce en crin sur papier de Pierrette Bloch (1995) accrochée sous une cascade de gros fils de coton de Klara Kuchta (sans date, mais l’œuvre nous plonge dans les années macramé), et à côté d’une broderie au canevas d’Aline Morvan, un Work in progress en fait, commencé cette année et que la jeune artiste n’achèvera peut-être pas avant sa mort. Trois générations de femmes dont la confrontation soulève une foule de questions sur le lien entre féminité et fil, qui nous fait remonter au moins à Pénélope et à Ariane, sur la capacité d’une œuvre à durer au-delà de l’époque qui l’a produite, quitte à dire autre chose à chaque génération qui la mettra en relation avec son vécu, son savoir propre.

Aline Morvan parlait de son travail lors d’une «pièce-discussion», moment proposé chaque après-midi autour d’une ou deux œuvres. Elle évoquait la façon dont ce travail au long cours transformait sa relation au temps, au labeur. Lui succédait ce jour-là Carmen Perrin, qui a remonté deux pièces anciennes pour l’occasion, l’une de 1986, qui ouvre par ailleurs l’exposition, sorte de globe fait de lamelles de bois recouvert de cirage argenté, l’autre boule étrange, organique, noire mais qui laisse passer la lumière par de multiples trous rectangulaires. Façonnée en 1996, avec des briques découpées, l’œuvre a l’envergure des bras de l’artiste, comme celle de 1986. Carmen Perrin l’expliquait avec des gestes de danseuse, semblant revivre le moment de leur création, évoquant Calder pour la première, Fontana pour la seconde. Précieux moments que ces rencontres, tout comme sans doute les conférences annoncées samedi et qui participent à faire de Smoking Up Ambition plus qu’une exposition ordinaire.

Smoking Up Ambition, au Pavillon Sicli, rte des Acacias 4, Genève. Jusqu’au 7 sept. www.pavillonsicli.ch

Carmen Perrin s’expliquait avec des gestes de danseuse, revivant le momentde la création