En théorie, si vous déposez une feuille morte à sa surface, vous avez toutes les chances de la retrouver, à vol d’oiseau, à 530 kilomètres de là. Elle, c’est la Sorne, rivière jurassienne qui prend sa source aux Genevez, direction la mer du Nord – certes en se jetant préalablement dans la Birse, laquelle se fond ensuite dans le Rhin.

La Sorne en elle-même coule sur une trentaine de kilomètres – jusqu’à Delémont. Quelquefois à l’air libre, sous terre pour certains de ses segments. Elle accueille des affluents dont les noms font se tordre le mouère (le museau, le groin, en patois, bref: la bouche) quand on les prononce: le Tchaïbez, le Folpotat, la Golatte…

Elle a récemment été mise en valeur dans un beau livre, La Sorne/Sorrn (Editions du Sauvage), coréalisé par le photographe Daniel Caccin et Stéphane Montavon, poète et maraudeur de sons (on en parlait il y a quelques jours dans nos colonnes). Des pages, des images et des mots qui s’extirpent du seul bucolique – la Sorne y est montrée et dite dans sa belle nature d’eau quelquefois folle, mais aussi réinscrite dans ce qu’il faut bien appeler notre contemporain un peu blême: dérèglement climatique, déplacements de population, répliques pandémiques.

D’un bassin à l’autre

Pour le dire autrement, la Sorne ici sort heureusement du lit béat dans lequel on aurait pu vouloir la canaliser. Et le livre qui la porte lui aussi transgresse ses propres frontières matérielles au gré d’une série d’événements échelonnés dans les jours à venir. Une première étape nécessite de passer du bassin du Rhin à celui du Rhône, autrement de laisser la vallée de Delémont pour l’Ajoie, et plus précisément Porrentruy. Là, la Galerie du Sauvage présente, jusqu’au 23 décembre, un large choix de photographies de Daniel Caccin – dont une part non négligeable de vues inédites, absentes du livre.

La seconde étape vous ramènera en pays rhénan, avec une série de rendez-vous. Demain samedi, tout d’abord, au Mouton Noir d’Undervelier, pour y écouter la diffusion de Sorrn ou Du sublime du Pichoux. Il s’agit là de la mise en son et en musique du verbatim poétique récolté (et remodelé) par Stéphane Montavon pour accompagner les photos de Daniel Caccin. La partition, composée par Antoine Chessex, fait principalement recours à la clarinette basse de Gilles Schwab, à la guitare de Laure Betris (que l’on connaît peut-être plus directement sous son pseudonyme de Kassette) et aux entretiens réalisés par Montavon sur le fil imaginaire de la rivière.

Dimanche ensuite, au Musée jurassien d’art et d’histoire à Delémont, pour une causerie emmenée par l’historien de l’art Clément Crevoisier autour du Martinet de Choindez (en amont du chef-lieu, là où coule la Birse), un tableau de Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812). Enfin, dimanche toujours, retour à Undervelier pour une promenade argumentée (les accompagnants sont géologue, architecte, historien, sourcier et musiciens) sur le tracé de la rivière. Bonnes chaussures recommandées. Une soupe sera servie à la fin de la balade.