On l’attrape au téléphone juste après sa conférence donnée mardi à Lausanne dans le cadre du Swiss Web Festival. Lorenzo Benedetti vient de rentrer à Paris. Il a 36 ans, est producteur et fondateur du Studio Bagel, dans lequel le groupe Canal + a mis ses billes en prenant 60% du capital de l’entreprise. Un parcours fulgurant pour cet enfant de la télé qui a commencé dans la production de manière assez classique, «mais avec une spécialisation dans le numérique. J’ai notamment travaillé à France Télévisions avec Nagui.»

Et puis qui, en 2012, décide de voler de ses propres ailes sur le Web. Ça tombe bien, après avoir financé des chaînes internet aux Etats-Unis, YouTube se met à investir en France. «On a été retenu parmi une dizaine d’autres projets avec chacun un demi-million d’euros pour monter notre affaire.»

Un succès grandissant

La sienne s’appelle Bagel, fait dans l’humour avec l’ambition de devenir «un incubateur à jeunes talents». L’équipe est constituée à moitié de comédiens que Lorenzo Benedetti apprécie et convainc d’embarquer dans l’aventure et de jeunes filles et garçons que le producteur repère sur Internet. Il s’entoure d’un directeur artistique (Ludoc) et de deux directeurs d’écriture (Mr Poulpe, «un mec tout mou mais qui sait absolument tout faire» et Axel Maliverney). Les formats sont courts, 3 minutes, et le succès s’accélère.

Depuis la création du studio, les petites vidéos Bagel ont été vues un peu plus d’un milliard de fois et fédèrent 15 millions d’abonnés.
Le studio multiplie dès lors les webcanaux (pour atteindre aujourd’hui une quinzaine de chaînes en tout), fait aussi de l’animation et fournit des sketchs à la télévision, surtout à Canal + qui cultive son goût pour le comique décalé et l’esprit potache de ses grandes années. Au point qu’en 2014 la chaîne cryptée qui cherche à rajeunir son audience décide d’investir dans le studio plutôt que de monter son équipe à l’interne.

Dragué par le cinéma

Lorenzo Benedetti rêve maintenant de séries télé et de longs-métrages qui passeraient au cinéma. «Faire son trou sur le Net, c’est bien. Mais en tant que producteur, la finalité de l’exercice reste pour moi d’aller plus loin. Les choses ont évolué. On est passé du type qui s’autofilme dans sa chambre à des productions beaucoup plus ambitieuses, avec du montage, de la postproduction. D’ailleurs, on le voit, cette génération d’humoristes née sur le Web intéresse le cinéma qui cherche aussi à attirer un public plus jeune dans ses salles. Aussi bien en tant qu’acteur qu’au niveau de l’écriture», continue le boss de Bagel, dont les revenus proviennent de la publicité numérique, des opérations spéciales montées avec des marques et des produits télévisuels.

D’où l’importance d’alimenter sans arrêt le vivier à humoristes. Comment? En faisant du scooting à l’ancienne et en allant voir des spectacles. C’est comme ça que Bagel a repéré au Paname, petit café du XXIe arrondissement équipé d’une scène pour des artistes de stand-up, Paul Taylor. «Un Américain qui vit en France depuis quinze ans et qui tourne des vidéos où il se fout de nous. Les gens qui nous envoient des démos sont rarement pris dans l’équipe. C’est nous qui partons en repérage. Entre les réseaux sociaux et les plateformes vidéos, il y a désormais suffisamment de moyens à disposition pour se faire connaître.»

Comique helvétique

En France, où les studios de productions numériques sont nombreux, on se livre pour l’instant une concurrence amicale. «J’étais à la fac avec le créateur de Golden Moustache, fondé en même temps que nous. Et on est resté très copain. Lui s’appuie sur un site internet avec des vidéos, de l’actualité mais peu de télévision. La multiplication de ces entreprises est quelque chose de très sain. Elle valide notre modèle sur le marché et montre que tout ça, même si c’est drôle, reste très sérieux.»

Pour autant que le marché soit organisé. Ce qui n’est pas le cas dans notre pays. «Vous faites pourtant preuve d’une créativité et d’un dynamisme époustouflants. Vous allez même plus vite qu’en France», analyse Lorenzo Benedetti, qui cite en exemple Le Grand JD à qui la RTS vient de confier une websérie, Animalis, dont c’était jeudi la première diffusion.

Mais si le talent helvétique existe, il travaille encore un peu tout seul dans son coin. «C’est vrai que, sans YouTube, franchement, on n’y serait jamais arrivé. Après la France, la plateforme a estimé que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Espagne représentaient des territoires intéressants pour leurs investissements.» Mais pas la Suisse, petit pays compliqué avec trois langues et autant de culture différentes. Ou du moins pas encore. «C’est pour ça que chez vous, il faut qu’il y ait une prise de conscience. Notamment de la part des acteurs médiatiques qui doivent comprendre que dans ce domaine ils ont une vraie carte à jouer.»


A consulter

Le site du Studio Bagel: www.studiobagel.com