Le Groupe 5, c'est un peu devenu notre mythe cinématographique à nous: le point de départ du «Nouveau cinéma suisse», une poignée d'amis qui réussissent ensemble à briser la barrière de l'indifférence, des cinéastes-auteurs dont l'œuvre a franchi les frontières pour donner une autre image de la Suisse. En fait, comme pour la Nouvelle Vague française ou le Free Cinema anglais, l'histoire est un peu plus compliquée.
En Suisse romande dans les années 1960, les jeunes réalisateurs confrontés à l'absence totale d'industrie locale débutent chacun dans leur coin avant de se retrouver dans les locaux de la non moins jeune Télévision suisse romande. D'où l'idée - qui revient à Michel Soutter - de regrouper les forces pour réaliser des films de cinéma en partenariat avec la TSR. Collectif de production, le Groupe 5 (pour ses cinq personnalités: Soutter, Alain Tanner, Claude Goretta, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange) ne produira en fait que sept films entre 1970 et 1973, de Charles mort ou vif de Tanner à L'Invitation de Goretta. Un ensemble très cohérent dans la mesure où tous ces films sont représentatifs de la contestation post-68, critiquant la société de consommation et un confort helvétique souvent trompeur.
Ensuite, tandis que Tanner, Goretta et Soutter sont repérés sur le circuit des festivals, Cannes leur ouvrant l'accès aux coproductions françaises (Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000, La Dentellière, Repérages), Roy restera employé à la TSR après l'échec public de son Black Out, de même que Lagrange, qui ne l'aura jamais quittée. On se souvient mieux de la suite, où Tanner s'impose comme seul auteur d'envergure, malgré son deuil laborieux des utopies de 68, tandis que Soutter et sa «petite musique» puis le plus classique Goretta finissent à leur tour par trouver refuge à la télévision, après les revers de Signé Renart (1985) et L'Ombre (1992).
Le poids de cette génération arrivée au faîte de sa reconnaissance internationale avec un Prix spécial du Jury cannois pour Les Années lumière de Tanner (1981) pèsera malheureusement sur les générations suivantes. Une deuxième vague composée d'Yves Yersin, Francis Reusser, Simon Edelstein et Patricia Moraz vole déjà moins haut, le cas de Yersin, tétanisé par le triomphe de ses Petites Fugues (1979), étant particulièrement significatif d'une sorte de paralysie collective. Quant à leurs successeurs des années 1980-1990, les Jean-François Amiguet, Marcel Schüpbach, Pierre Maillard, Patricia Plattner et autres Jacob Berger, ils peinent eux aussi à se dégager de l'ombre de leurs aînés, à conjuguer voix personnelle et impact public. D'où trop de carrières en demi-teinte, d'ambitions étouffées par le système de subventions, d'élans créatifs anesthésiés par le salariat de la TSR.
Ce n'est qu'aujourd'hui, après un long creux de la vague, qu'une nouvelle génération (dont Jean-Stéphane Bron, Lionel Baier et Ursula Meier, mais aussi Greg Zglinski) semble à nouveau pouvoir bénéficier du goodwill nécessaire pour percer. Puisse leur talent être à la hauteur de cette chance!