Téléchargement: les experts aiment le flux
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Nommé par le Conseil fédéral, le groupe de travail AGUR12 a rendu son rapport. Grand gagnant: l’usager

Discrètement, sans tambour ni trompette, les experts réunis à Berne sur la question du droit d’auteur à l’ère numérique (ou du téléchargement, comme on dit communément) auraient-ils résolu la quadrature du cercle? «Après une année et demie de délibérations entre les parties intéressées (artistes, producteurs, utilisateurs institutionnels, consommateurs), nous avons réussi à ficeler un paquet de mesures qui, dans son ensemble, fait l’objet d’un consensus», explique Roland Grossenbacher, directeur de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI), et président du groupe de travail baptisé AGUR12.
Mandaté par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, le groupe a publié son rapport vendredi. Ses recommandations? Un statu quo amélioré. Un pari sur l’avenir, avec le développement d’une offre légale «vaste, facile d’accès, attractive, rapide». Et un souci de ne pas accabler les usagers. «L’unanimité s’est faite sur le constat qu’une offre illicite existe, qu’elle représente une concurrence déloyale, qu’elle est nocive, qu’il faut la combattre. Mais ce faisant, nous ne voulons pas criminaliser l’internaute. Ni même rendre plus difficile sa navigation», relève Roland Grossenbacher.
Vive le flux, à bas le flou
«Aujourd’hui, c’est un peu la jungle. Personne ne sait ce qu’il ose faire et quels sont ses droits», explique le président d’AGUR12. Ce flou est nuisible à la circulation sur la Toile, car une «crainte diffuse» est «susceptible de se traduire par un abandon des utilisations légitimes», dit le rapport. Au cœur de celui-ci, on trouve le souci de chasser le flou pour protéger le flux.
Qu'est-ce qui est licite?
Selon la loi suisse, on peut prendre sur Internet tout le contenu qu’on veut. L’ensemble de ce qui est téléchargeable peut être téléchargé dans la plus parfaite légalité – même s’il a été mis là par des «pirates». Selon les termes du rapport, «le téléchargement à partir de sources illégales doit continuer d’être admis, comme le prévoit le droit en vigueur selon la doctrine dominante.» Dans son dernier document en date sur la question, daté de 2011, le Conseil fédéral écartait le tournant répressif que certains souhaitaient. Même son de cloche du côté d’AGUR12.
Qu'est-ce-qui est illégal?
Ce qui est interdit: faire circuler publiquement des biens culturels dont on ne détient pas les droits – envoyer une chanson vers un site de partage (upload) ou télécharger un film en le mettant à disposition des autres via la méthode du torrent et du peer-to-peer . Mais si vous le faites, ce n’est pas sur vous qu’on va s’acharner. «L’objectif, c’est de combattre ceux qui ont pour modèle économique la diffusion d’œuvres sans licence.» Comme le célèbre Megaupload.
Qu'est-ce qu'on risque?
Vous, pas grand-chose. Le fournisseur de contenus illicites risque un blocage. Mais avec prudence. «On a parlé de police d’Internet, d’Etat fouineur… Ce n’est pas ça. Nous souhaitons éviter l’overblocking de sites qui auraient une majorité de contenu licite et, accidentellement, d’autres qui ne le sont pas.» Pas de «flicage» non plus. «Le détenteur de droits doit observer le marché et demander des mesures s’il constate une violation.»
Quid du «forfait universel»?
Des voix (de David Bowie au futurologue des médias bâlois Gerd Leonhard) évoquent depuis une décennie la marche inévitable vers une taxe unique, un abonnement général permettant de télécharger légalement tout ce qui circule sur la Toile. «Un peu comme la vignette autoroutière ou la redevance Billag», précise Grossenbacher. AGUR12 est contre. Pourquoi? «Ça découragerait les offres légales existantes. Il faut au contraire les encourager à se développer.»
Facebook, zone grise
Lorsque vous postez sur Facebook des photos trouvées çà ou là sur la Toile, vous êtes dans l’illégalité. Même s’il ne viendrait à l’esprit de personne de vous poursuivre… AGUR12 préconise de changer la loi pour rendre cela licite. «La jurisprudence a montré qu’il ne s’agit pas là d’un partage entre «amis», mais bien d’une mise à disposition publique potentiellement illimitée. Pour régulariser cela en préservant la facilité de l’usage, nous préconisons un petit forfait.» Aïe…
Bibliothèques en liberté
Une bibliothèque, un musée, une archive, qui souhaitent mettre en ligne des extraits d’œuvres pour illustrer leur inventaire, doivent aujourd’hui obtenir l’accord des ayants droit. C’est lourd? AGUR12 veut les libérer de ce fardeau. «C’est un point qui résume bien l’arbitrage entre droit d’auteur et liberté de l’information.» Voilà de quoi rendre le catalogue d’une bibliothèque plus pimpant qu’une page d’Amazon.