Quand les télé-crochets alimentent l'EuroSong
Concours en deux volets, avec demi-finale ce soir et finale samedi, l'Eurovision de la chanson se déroule cette année à Istanbul. Parmi les interprètes des trente-six nations en lice, six sont issus des émissions de «téléréalité» et ses dérivés actuellement en vogue en Europe.
Ses détracteurs évoquent un annuel «génocide de la chanson», ses laudateurs vantent sa perpétuelle dimension «kitsch culte» et vont jusqu'à réserver leur soirée pour suivre les brèves prestations des candidats. Et ne pas manquer le sempiternel décompte des points, «partie mythique» de l'émission dont le classement est désormais défini grâce au vote du public par SMS et téléphone – des jurés par pays n'assurant le relais qu'en cas de panne du réseau téléphonique. Le concours Eurovision de la chanson ou EuroSong, dont la première édition eut lieu à Lugano en 1956 et fut remportée par la Suissesse Lys Assia avec «Refrains», ne laisse donc pas indifférent.
Quelque 100 millions de téléspectateurs à travers 42 pays, sur un milliard d'audience potentielle, ont suivi la retransmission en direct de Riga l'an dernier (dont 5 millions en France et 10,9 au Royaume-Uni) d'après l'Union européenne de radio-télévision (UER). L'organisateur de cette Coupe d'Europe du télé-crochet ne s'embarrasse pas trop de frontières géographiques puisque Israël et la Turquie ont jusqu'ici compté parmi les contributeurs et membres de l'institution basée à Genève.
Istanbul accueille d'ailleurs cette année le concours, relifté et partagé en deux manches: une grande nouveauté où 22 concurrents sont en lice dans le round qualificatif de ce mercredi, qui verra dix d'entre eux propulsés en finale samedi soir. Parmi eux peut-être, Piero Esteriore. L'interprète bâlois d'origine italienne défend les couleurs de la Suisse avec «Celebrate», hymne positiviste qui invite à taper dans ses mains et faire la fête. Tendance exagérée à la bonne humeur que partagent de nombreux titres de variété pop en compétition.
A Istanbul, 36 nations sont inscrites à cette 49e édition accueillant surtout à bras ouverts les candidats issus des «télé-crochets» internationaux. Du Belge Jonatan Cerrada en lice pour la France (vainqueur d'A la recherche de la nouvelle star) à l'Espagnol Ramón (second d'Operación Triunfo 3), via le Britannique James Fox (candidat de Fame Academy 2), la Russe Julia Savicheva (repérée dans The Star Factory) et bien sûr Piero Esteriore (participant de la MusicStar suisse alémanique), pas moins de six interprètes «téléréalisés» ont été remarqués dans ce genre de divertissement en vogue sur les chaînes européennes. Pas encore un raz-de-marée mais un début de tendance possible. Ainsi également de Maryon Gargiulo chantant «Notre Planète» pour Monaco. Agée de 16 ans, elle avait remporté une émission spéciale de Graines de stars sur M6.
Le retour en fanfare des chanteurs et chanteuses solos depuis quelques saisons, fortement mis en lumière par la machine médiatique, infiltre donc logiquement l'Eurovision, qui profite sans doute de l'engouement pour ce type de divertissement cathodique. En 2004, le concours abrite aussi une majorité de jeunes voix masculines, prêtes à tout. Au même titre que l'accélération de succès autorisée par la «téléréalité», elles se disent comme leurs consœurs que l'EuroSong pourrait être une aubaine pour l'assise d'une carrière internationale: qui se remémorant la victoire d'ABBA en 1974 avec «Waterloo», qui celle de France Gall avec «Poupée de cire, poupée de son» en 1965, qui celle de l'Anglaise Sandie Shaw en 1967 avec «Puppet on a String» ou celle de Céline Dion pour la Suisse en 1988 grâce à «Ne partez pas sans moi». Un temps où l'Eurovision et les hit-parades marchaient main dans la main.
Reste qu'à quelques exceptions près, l'Eurovision n'a jamais vraiment permis en un demi-siècle d'existence aux artistes de conquérir le monde – même depuis que les candidats ne sont plus contraints de chanter dans l'une des langues nationales du pays qu'ils représentent et se sont rués sur l'anglais chanté, croyant à une percée facilitée. Un an plus tard, personne ne semble se souvenir ni du visage ni de la chanson du gagnant turc en Lettonie, Sertab Erener. Il faut remonter à la sulfureuse et hybride Dana International en 1998 et à Toto Cotugno en 1990 pour qu'un souvenir émerge. En dépit du regain d'intérêt pour le concours télévisé, la compilation EuroSong 2003 diffusée par la multinationale EMI, n'est pas le jackpot commercial escompté. Mais comme pour l'Eurovision, les choses peuvent changer.
EuroSong. Demi-finale ce soir à 21h, TSR2. Finale, sa 15 mai à 21h sur TSR1 et France 3.