«Le Temps» sur les bancs d’école
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Cette semaine était celle des médias dans les établissements scolaires en Suisse romande. L’occasion pour nous d’évoquer le fonctionnement des rédactions et ses limites, par l’exemple actuel de l’Iran

Une période scolaire de trois quarts d’heure, c’est court pour sensibiliser une classe à des thèmes comme la censure, la liberté d’expression ou le modèle d’affaires en crise du monde de la presse! Donc un défi. Celui de répondre à la demande de la Semaine des médias à l’école en Suisse romande (25-29.11.2019), proposition pédagogique destinée à s’insérer dans le programme habituel des cours. L’ambition est de consacrer une (petite) fraction de l’horaire aux médias, aux images et au numérique dans le post-obligatoire. Et c’est aussi l’occasion de mettre en œuvre quelques objectifs prioritaires du plan d’études romand tels que la connaissance de soi et des autres ou la responsabilité citoyenne dans toutes ses interdépendances, en vue d’un développement durable.
Aussi Le Temps s’est-il entretenu ce jeudi matin avec une vingtaine d’élèves et leur professeur, Olivier Pradervand, à Plan-les-Ouates (GE), dans une classe de l’Ecole de commerce et de culture générale Aimée-Stitelmann. Du nom de cette Genevoise condamnée en 1945 pour avoir favorisé des passages clandestins de victimes du nazisme à la frontière franco-suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, puis réhabilitée par l’Assemblée fédérale en 2004.
Prétexte très largement suffisant pour évoquer la thématique de l’altérité, par le biais de… la coupure actuelle d’internet en Iran. Objet du débat, après une rapide revue de quelques journaux romands: «Les Iraniens et nous», en quelque sorte. Un processus de censure assez largement ignoré de nos élèves du jour, mais qui ont été documentés au préalable sur le sujet. «Que feriez-vous, vous, si l’on vous déconnectait complètement?» lance-t-on. Réponse d’une adolescente: «C’est simple, on ne pourrait plus RIEN faire.»
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Et c’est bien là le problème. La coupure qui touche la République islamique depuis la mi-novembre a un impact sur la quasi-totalité des connexions qui relient le pays au reste du monde. Réseaux sociaux compris, évidemment… Rien que l’idée en fait frissonner nos auditeurs du jour. «Mais on a le droit de faire ça?» demande l’un. On le prend, le droit. Surtout dans un régime autoritaire contesté comme celui des mollahs, où les autorités ont rétorqué aux sanctions américaines en développant une forme d’intranet propre au pays: le National Information Network (NIN), porte d’entrée – ou de fermeture, en l’occurrence – aux réseaux extérieurs.
Le bouton «off» une fois pressé, explique-t-on à ces jeunes incrédules, isole complètement l’Iran et ses citoyens, désormais dans l’impossibilité de confirmer les exactions soupçonnées dans le pays en vue de tenter de contrôler les manifestations violentes qui s’y déroulent depuis la hausse annoncée du prix de l’essence. La fermeture du robinet et l’instauration du black-out qui en découle rendent par ailleurs très difficile le travail d’évaluation de la presse internationale.
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A partir de cet exemple, nous avons eu de quoi relativiser l’accès soi-disant facile à l’information gratuite et aussi de quoi sensibiliser les élèves aux différents niveaux de l’information: international, national, régional. Ils ont sans doute ainsi mieux compris pourquoi des news données après vérification par des journalistes professionnels ont une valeur et que cela se paie; pourquoi un journal comme Le Temps cherche toujours à se démarquer par la qualité de sa plus-value; et pourquoi l’info gratuite, dans un journal comme 20 minutes, par exemple, n’est jamais que brute, donc ni analysée ni commentée.
Et c’est à cet instant que la sonnerie retentit. Tout a passé trop vite. Mais un peu d’altérité a tout de même trouvé son petit chemin entre les rangs.