La réserve incarnée. Perché sur le bord d'un sofa trop profond dans l'après-midi lausannoise, David Gedge n'élève jamais la voix. Comme le père effacé d'un mélodrame de la BBC, l'âme chantante de The Wedding Present n'a pas l'âge arrogant. Star sans strass, géant modeste de la scène indépendante, l'Anglais aurait pourtant des raisons de pavoiser.

Retour du rock oblige, pas un groupe british dont les guitares nerveuses ne fassent allégeance aux rugosités pionnières de The Wedding Present. Membre fondateur du groupe et garant jaloux d'un son sans pareil, David Gedge en a-t-il conscience? «Peut-être çà ou là, je vois ce que vous voulez dire. Mais, en général, les musiciens ne viennent pas s'en vanter. Ces dernières années en Angleterre, les groupes à guitares n'étaient pas très bien vus. Pour tout dire, nous faisions plutôt figure de vieux ringards!»

Miraculeusement préservé par son refus de toute concession à l'air du temps, The Wedding Present met aujourd'hui fin à neuf ans de silence discographique. Avec Take Fountain, chronique intime d'un amour défait, le groupe reformé publie l'un de ses meilleurs disques. Et peut-être l'un des plus beaux recueils rock de l'année, que Gedge et ses sbires électriques livrent à la scène du Romandie de Lausanne ce soir.

Vingt ans après la première incarnation du groupe à Leeds, le ténébreux chanteur pilote désormais depuis Seattle son groupe élargi. Toujours aussi rêche et tendue, la sonorité légendaire du Wedding Present s'enrichit ici de cuivres, cordes et chœurs emphatiques emportant la pop saturée des Anglais dans une traversée grand-angle des plaines américaines.

Rien que de bien naturel pour un homme capable de sacrifier en 1996 le succès croissant de son groupe sur l'autel d'un nouveau projet baptisé Cinerama, en référence aux projections à trois écrans d'un A la conquête de l'Ouest. «Evidemment, ce n'était pas une bonne idée commerciale de changer de nom, rit aujourd'hui l'intéressé. Mais vous savez, nous n'avons jamais rien fait par calcul. Quand nous avons gravé un album de musique ukrainienne [ndlr: Ukrainski Vistupi V Johna Peela, 1989], ce n'était pas non plus une très bonne stratégie commerciale! Au sein du Wedding Present, après toutes ces années, j'ai fini par ressentir une certaine frustration. Il y avait des envies musicales que je ne pouvais pas exprimer dans le cadre rigide de ce groupe.»

Attiré par la musique de film et les orchestrations léchées de l'easy-listening, David Gedge expérimente alors avec Cinerama une forme légère de pop intemporelle, gagnant en articulation au gré des albums. «J'étais très naïf, je pensais que je pouvais le faire facilement. Mais il m'a fallu trois albums pour commencer à comprendre l'art de l'orchestration.»

Le cinéma, à dire vrai, lui faisait de l'œil depuis longtemps. En 1992, plutôt que de se lancer dans l'enregistrement d'un nouvel album, The Wedding Present se donne un défi singulier: publier tous les mois un nouveau 45 tours, comprenant un titre original sur sa face A et une reprise au verso. Contre toute attente, le projet est un succès, alors même que le vinyle vit ses derniers instants, et le groupe parvient à loger plusieurs de ses singles dans le Top 40 anglais.

L'occasion pour David Gedge d'ouvrir la palette du groupe à de nouveaux horizons d'écriture. «Quand on compose, on finit toujours par tourner autour des mêmes idées. Entrer dans la pensée d'un autre auteur m'a beaucoup appris.» Parmi les titres qu'il soumet à la relecture figurent ainsi deux chansons liées à l'image en mouvement: «Falling», le thème de la série Twin Peaks et «Shaft», hymne funky du film culte de la Blaxpoitation.

Amorcé comme un nouvel album de Cinerama, Take Fountain paraît finalement sous le nom de The Wedding Present, grosses guitares obligent. Mais l'on mesure aisément combien ces obsessions de celluloïd ont enrichi la sonorité du groupe originel, parvenant à une adéquation parfaite entre l'emphase de son rock mélodique et l'intelligence des petits scénarios amoureux qu'il développe en chansons.

«Quelques personnes m'ont dit que, lorsqu'on lit mes textes, on a sous les yeux le script d'un film, avec des répliques précises, des indications de lieu, de ton, etc. J'aime écrire des chansons qui ressemblent à des conversations. Lou Reed faisait ça admirablement bien.»

Amours perdues, reparties amères, le scénario intime du disque exalte sans pathos la solitude d'un homme entièrement voué à son art mineur. «La musique demeure une obsession pour moi, j'y consacre toute mon énergie. Je ne peux pas faire les choses à moitié, mais je ne sais pas si c'est mieux comme ça… j'ai de moins en moins d'amis! (rires)»

Take Fountain (Stickman/Namskeio) The Wedding Present en concert au Romandie, place de la Riponne à Lausanne, ce soir à 21 h. Loc. http://www.petzi.ch Rens. www.leromandie.ch