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The Young Gods, divin hybride

En 1989, le trio suisse remplissait avec «L’Eau rouge» les sillons parallèles du rock et de la musique électronique.

En 1989, investir dans un sampler impliquait d’acheter une camionnette pour le transporter. On exagère, mais il est vrai que la révolution musicale prêchée sur scène par les Young Gods (qui défendaient alors L’Eau rouge, leur deuxième album) semblait tenir du sacerdoce: la machinerie, format bibliothèque, avait pour le profane quelque chose de l’usine à gaz, fût-elle sophistiquée, et du monolithe kubrickien.

Révolution? Oui, et choc esthétique. Rapporté à un format rock, le sampler (alors manipulé par Al Comet) avait avalé guitariste et bassiste, laissant la scène ouverte pour un chanteur (Franz Treichler) et un batteur (Use Hiestand). Corollaire technologique: l’ingestion en question se doublait d’une régurgitation asymétrique. Car de cette boîte noire pouvait sortir non seulement un riff de guitare, mais aussi – au choix  – une particule du Sacre du printemps, un avertisseur polyphonique de car postal, un moulinet d’orgue de Barbarie, ou la plainte d’une mouette recomposée. L’art de la capture se débattait sur scène.

Certes, on arguera que les Young Gods (au menu 2009: Treichler et Comet en survivants, Bernard Trontin aux fûts et Vincent Hänni à la guitare) ne furent pas les premiers à s’adonner de la sorte à l’électronique. Suicide (lire ci-contre) ou les industriels (Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, etc.) l’avaient déjà fait à l’agonie des 70’s.

Toutefois, ce qui frappa chez les Young Gods était le choix des éléments appelés à se mêler dans leur hybride musical: une énergie et une occupation scénique rock (Treichler est un frontman habité), les possibilités de stase et de propulsion mécanique offertes par les machines, et un goût pour un expressionnisme de cabaret qui atteindra son sommet lorsqu’en 1991 le groupe reprendra à sa sauce des airs de Kurt Weill.

L’Eau rouge concentre ces inspirations: au fil des plages, on se laisse accrocher aux Trinklieder mélancoliques («La Fille de la mort», «Charlotte», surtout), aux décollages supersoniques («Longue Route», «L’Amourir» au rythme impair) et à un onirisme de plomb fondu («Ville nôtre»).

Les Young Gods offraient ici un mélange d’une extrême particularité, qui devait fonctionner comme une garantie d’exclusivité. De fait, on ne leur connaît pas d’épigones, la bande à Treichler, plutôt que de fournir matière à copies, ayant œuvré à banaliser la fusion du rock et des machines, inaugurant par là même de nouvelles attitudes musicales.

Le groupe, lui, n’allait pas se contenter de sa trouvaille, se réinventant au fil des albums, pilonnant le rock saturé (T.V. Sky, 1992), lorgnant vers l’ambient fragmenté (Heaven Deconstruction, 1996, Music for Artificial Clouds, 2004) ou les envolées acoustiques (Knock on Wood, 2008).

Aujourd’hui, l’attention des jeunes dieux se focalise sur leur projet TYG play Woodstock, palimpseste musical (images d’époque, nouveaux sons) du festival quadragénaire qu’ils défendront sur la scène du Paléo le 22 juillet prochain.

Chaque semaine de l’été, Le Temps détaille l’œuvre phare, les influences et filiations, l’époque d’un artiste qui fait l’actualité.